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grille inventés par Louis Braille, qui a été quelque peu savantasse, en nommant son système, — son admirable système, — l’anaglyptographie et la diaphigraphie. Ce système peut suffire à tous les besoins intellectuels de l’aveugle, mais ne lui permet pas d’entrer en communication avec les voyans qui ne se le sont pas approprié. On sait en quoi il consiste ; chaque lettre de l’alphabet, chaque chiffre, chaque signe de ponctuation forme en relief un nombre de points déterminés. L’aveugle lit en passant l’extrémité de ses doigts sur la saillie des points et lit avec autant de rapidité qu’un voyant instruit qui a sous les yeux un volume bien imprimé. Souvent j’ai vu un aveugle suivre de la main gauche les lignes d’un livre « nocturne » qu’il reproduisait de la main droite sur l’appareil de Braille. Dans la classe des moyennes, la religieuse aveugle, — qui serait charmante sans ses yeux blancs, — écrivait de la sorte. La supérieure lui dit : « Que faites-vous là, ma sœur ? » Elle répondit : « Ma mère, je me dicte un livre de piété. »

Un aveugle, nommé Foucaut, voulut mettre ses compagnons d’infortune en relations écrites avec les voyans et il imagina un instrument très ingénieux composé de dix poinçons émoussés, écartés au sommet, très rapprochés à la base, contenus dans un triangle de fer et munis d’un ressort à boudin. L’instrument est monté sur une règle dont les deux extrémités s’engagent dans la rainure du cadre dont l’aveugle est forcé de se servir pour maintenir son papier et empêcher sa main de dévier. L’appareil glisse sur la règle fendue de gauche à droite dans le sens de l’écriture, et la règle glisse de haut en bas dans le sens des lignes. La base des six poinçons juxtaposés porte sur une feuille de papier plombagine, dont la face noircie est appliquée sur une feuille de papier blanc. L’aveugle frappe la tête du poinçon qui s’abaisse et trace un point noir ; on obtient ainsi l’écriture romaine, chaque lettre est composée de plusieurs points ; dans le mot « honorer » j’en ai compté jusqu’à cinquante-huit. Les aveugles habiles écrivent de la sorte avec une sûreté et une rapidité extraordinaires, et l’instrument leur est précieux lorsqu’il s’agit de correspondre avec les voyans ; mais l’écriture ainsi obtenue, très nette et qui ressemble à un modèle « de tapisserie au très petit point, offre un inconvénient grave, l’aveugle ne peut la lire ; la saillie produite par la frappe du poinçon, — du piston, comme l’on dit à la maison de Saint-Paul, — est trop faible pour être perceptible au tact même le plus délicat ; en outre, elle présente la lettre à l’envers. Le problème restait donc toujours le même : Comment doter l’aveugle d’une écriture lisible à la fois pour lui et pour les voyans ? Un homme de bien a cherché à résoudre ce problème, et je crois qu’il l’a résolu.