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prises deux adversaires de taille à peu près égale qui épuiseraient mutuellement leurs forces, tandis qu’il réparerait lui-même les siennes dans le repos. Spectateur et juge des coups, il attendrait l’heure où il lui conviendrait de reparaître de nouveau comme le médiateur nécessaire et l’arbitre des conditions de la paix. Tout avait d’abord semblé répondre à ses espérances. Ménagé par la France, qui craignait de le pousser à bout, adulé par l’Angleterre, qui se flattait de l’entraîner à sa suite, traité par l’Autriche vaincue avec une déférence qui, précisément parce qu’elle était froide et contrainte, n’attestait que mieux sa victoire, assiégé de supplications par l’empereur, qui le conjurait de lui venir en aide, il savourait, le sourire sur les lèvres, toutes les jouissances de l’orgueil satisfait. Aux instances qui lui étaient faites par les parties adverses pour l’attirer dans leurs rangs il répondait tantôt par des promesses évasives, tantôt par des refus hautains, le tout assaisonné de propos insultans, avec cette intempérance de langue qu’il n’avait jamais su contenir et que le succès mettait plus que jamais à l’aise. Si les généraux français n’étaient à ses yeux que des imbéciles servis par des poltrons, les négociateurs anglais, à leur tour, étaient des fous furieux et des brouillons ivres. Ces aménités étaient répandues par lui à droite et à gauche, avec une impartiale largesse, dans la certitude que, ni de part ni d’autre, l’injure, si elle était ressentie, ne serait vengée. Le comble fut mis à sa présomption lorsque, après avoir refusé obstinément à l’Angleterre de l’aider dans ses vues agressives, il n’en obtint pas moins, vers la fin de 1742, de cette puissance un traité d’alliance défensive et de garantie réciproque qui lui assurait l’intégrité de ses états (ses nouvelles conquêtes comprises) sous la seule condition de protéger lui-même au besoin la neutralité du Hanovre. C’était un traité à peu près semblable dans la forme à celui qui avait été conclu avec la France, dix-huit mois auparavant, et dont les dispositions ostensibles ne contenaient aussi que des stipulations défensives ; et comme celles-là subsistaient encore, au moins sur le papier, Frédéric, en réalité, pouvait croire que, si la guerre s’envenimait entre l’Angleterre et la France, il se trouverait garanti indifféremment par l’un des combattans contre l’autre[1].

Ce contentement égoïste avait pourtant déjà fait place à un certain malaise quand il avait appris successivement l’issue malheureuse de la tentative de Maillebois, la capitulation de Prague, puis la situation gênée de l’armée française en Bavière, qui pouvait d’un jour à l’autre amener sa retraite. L’idée que Marie-Thérèse,

  1. Droysén, t. II, p. 17,18, 35, 36. — Pol. Corr., t. II, p. 260 et passim, 294, 295 et passim.