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de la phrase, par la logique des liaisons et des constructions, enfin par la science de la période. Il plaçait très haut l’art de la longue phrase, l’une des plus grandes difficultés de la langue française ; tout en admirant beaucoup Montesquieu et Voltaire, il remarquait qu’ils avaient brisé la langue et il relevait hautement le mérite de Rousseau, qui avait reconstitué la grande phrase française. On sait que la science de la période est un des caractères du génie de Bossuet, qui est le maître de tous les écrivains en ce genre. Cousin s’est essayé plusieurs fois à lutter avec lui, et, sans l’avoir égalé, on peut dire qu’il s’est rapproché quelquefois de son modèle. Quoique Victor Cousin soit surtout arrivé à la perfection de la forme dans la seconde période de sa carrière, c’est-à-dire à partir de 1838-1868, je ne sais cependant s’il n’était pas encore supérieur à l’époque où il ne voulait pas systématiquement être écrivain. Les Argumens de Platon et quelques pages des Fragmens, sans avoir peut-être la pureté de la langue, qu’il a cherchée plus tard, avaient, en revanche, ce qui lui a le plus manqué par la suite : le naturel. À cette première période, son style a une largeur et une aisance qu’il a un peu perdues par la suite. Moins classique que dans sa seconde période, il est plus lui-même ; il est moins artificiel, moins tendu. Il a déjà l’art de la longue phrase, mais moins suspendue, moins construite, coulant avec plus de négligence, et, par conséquent, plus de grâce. Néanmoins, on ne peut qu’admirer l’effort qu’il a fait plus tard pour faire porter à la langue classique toutes les idées de son temps.

Mais il est temps de revenir à la philosophie, de résumer les résultats obtenus et de caractériser l’idée fondamentale qui a été le centre de tous les travaux de Cousin, à savoir : l’idée de l’éclectisme, dont nous n’avons encore presque rien dit. C’est cependant à cette idée que son nom restera attaché dans l’histoire. Essayons de la définir avec clarté et précision.


IV

Le principe qui nous parait ressortir de la philosophie éclectique, c’est le principe de l’unité de la philosophie. Il n’y a qu’une philosophie, comme il n’y a qu’une physique. Seulement, voici la différence. La physique, comme toutes les sciences positives, ne s’occupe que du particulier et du fini. Elle peut donc ajouter sans cesse des connaissances particulières les unes aux autres ; ces connaissances peuvent s’accumuler, et, quand elles sont assez multipliées, se coordonner en théories. Il n’en est pas de même en philosophie. La philosophie est la science de l’absolu, des premiers principes,