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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/166

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leurs ministres ont varié suivant les époques et suivant les hommes. Washington, encore pénétré des traditions de la mère patrie, réunissait fréquemment les membres de son conseil, les consultait sur les questions de politique générale et se conformait à l’opinion de la majorité. Jackson adopta une ligne de conduite tout opposée. Il réduisit les ministres au rôle de chefs de services administratifs, cessa de les réunir, et traita avec chacun d’eux individuellement les affaires de son département.

Mais, à côté de ce cabinet dépourvu d’autorité et d’unité, il avait constitué un véritable gouvernement occulte, qui est demeuré célèbre dans l’histoire politique des États-Unis sous le nom de kitchen cabinet (cabinet de cuisine). Les membres de ce comité dirigeant, qui exerça sur la marche des affaires publiques une influence prépondérante, étaient des politiques ou des journalistes, auxquels Jackson attribuait à bon droit une large part dans la victoire électorale qu’il venait de remporter. C’étaient le major Lewis, Duff Green, Amos Kendall et Isaac Hill. Lewis avait, ainsi que nous l’avons dit, déployé pendant cette campagne une science consommée de la tactique électorale et une rare habileté dans le maniement des hommes. Sincèrement attaché à Jackson et médiocrement ambitieux, il s’apprêtait à retourner dans sa propriété de Tennessee, lorsque le président insista pour le retenir à Washington et l’y fixa en le nommant second auditeur de la trésorerie. Duff Green était le rédacteur en chef du Télégraphe des États-Unis. Il était particulièrement dévoué à Calhoun, auquel il resta constamment fidèle, mais son journal avait soutenu avec autant d’énergie que d’éclat la candidature de Jackson et était devenu l’organe officieux de la nouvelle administration. Amos Kendall était la personnalité la plus brillante de ce petit cercle. Il avait été autrefois précepteur dans la famille de Clay ; il lui avait des obligations d’argent et l’avait payé d’ingratitude. Ce fut pour Jackson une raison de se l’attacher, et Kendall, qui rédigeait l’Argus de Frankfort, contribua plus que personne à lui conquérir la majorité dans l’état de Kentucky. C’était un politicien dépourvu de tout scrupule, mais d’un incontestable talent. Miss Martineau, qui le rencontra en 1836, le représente comme un des hommes les plus remarquables de l’Amérique : « On le regarde, dit-elle, comme la cheville ouvrière de l’administration : on croit que c’est lui qui pense, qui projette et qui fait tout, mais tout cela dans l’ombre… C’est incontestablement un homme supérieur. Il réunit à son grand talent pour le silence une prodigieuse audace[1]. » Isaac Hill était, comme Kendall, originaire de l’état de Massachusetts. Son enfance s’était écoulée dans un atelier

  1. Miss Martineau, Western Travel, page 155.