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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/175

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bientôt de sa bouche les revanches éclatantes que lui avait ménagées la sollicitude de Van Buren ; elle y joignit le récit des entretiens dans lesquels le secrétaire d’état exprimait sans cesse son admiration pour le génie politique du président. Jackson écoutait ses récits avec complaisance et s’en montrait ému jusqu’aux larmes. « Je sais qu’il m’aime, » répétait-il ; et il ajoutait d’un ton qui n’exprimait pas moins l’énergie de ses rancunes que la force de ses amitiés : « J’ai toujours su distinguer mes amis et mes ennemis[1]. »

Le terrain était merveilleusement préparé, et le moment était venu de porter un coup décisif à l’influence de Calhoun. Nous avons dit à quelles discussions avait donné lieu, sous l’administration de Monroe, la conduite de Jackson dans la campagne contre les Indiens Séminoles. Adams avait pris énergiquement sa défense dans le cabinet et avait ramené à son opinion la majorité. Mais Calhoun, alors secrétaire de la guerre, avait, au témoignage d’Adams[2], reproché très vivement au général d’avoir contrevenu à ses ordres ; il avait soutenu que la prise de Pensacola constituait une agression contre l’Espagne, sans déclaration de guerre, et une violation de la constitution ; et il avait demandé qu’un désaveu formel dégageât la responsabilité du gouvernement. Jackson avait ignoré ces détails et était resté persuadé qu’il avait été défendu par Calhoun, bien que, dès l’origine, des doutes paraissent avoir existé dans l’esprit de quelques-uns de ses amis sur l’attitude de ce dernier. Ces doutes ne tardèrent pas à se changer en certitude. Van Buren, qui avait soutenu en 1824 la candidature de Crawford à la présidence, fit en 1827 une tentative auprès de lui pour le rallier à la candidature de Jackson. Les négociations commencées furent suivies par des amis communs. Crawford protesta qu’il n’était animé envers Jackson d’aucun sentiment hostile et que celui-ci n’avait de son côté aucun motif de lui en vouloir, puisqu’il l’avait autrefois défendu contre Calhoun dans le cabinet de Monroe. Cette déclaration fut soigneusement recueillie, mais on résolut d’attendre un moment opportun pour en faire usage. Ce moment sembla venu lorsqu’à la suite des incidens que nous venons de raconter, un refroidissement sensible se fut manifesté dans les relations de Jackson et de Calhoun. Lewis, qui était tout acquis aux intérêts de Van Buren et qui avait dirigé cette négociation avec un art consommé, se chargea de mettre sous les yeux de Jackson une longue lettre adressée par Crawford, le 30 avril 1830, au sénateur Forsyth, et qui contenait tout l’lus torique de l’affaire. L’attitude hostile de Calhoun y était habilement mise en lumière et Crawford se défendait de s’y être associé à un degré quelconque.

  1. Atlantic Monthly. Réminiscences of Washington, June 1880.
  2. Diary, 14 july 1818.