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Le président communiqua cette lettre à Calhoun en lui demandant des explications. Ce dernier aurait pu s’y refuser en invoquant le secret dû aux délibérations du cabinet, il préféra se justifier en accusant Crawford et en protestant, ce qui semble au moins contestable[1], que pour sa part il n’avait jamais suspecté ni le patriotisme ni les intentions de Jackson. Il ajoutait d’ailleurs, avec raison, qu’il n’y avait eu dans toute cette affaire qu’une question de devoir professionnel, et non une question d’amitié ou d’inimitié privée.

Jackson n’accepta pas cette tentative de justification et y répondit par de violentes récriminations et des plaintes amères. « J’avais, écrivit-il à Calhoun, une trop haute idée de votre honneur et de votre loyauté pour vous croire un seul instant capable d’une semblable trahison. Je le répète, j’étais en droit de vous considérer comme un ami sincère, et, jusqu’à ce jour, je ne croyais pas avoir à vous adresser le reproche de César : Et tu, Brute ? »

La rupture était consommée. Elle eut pour premier résultat d’enlever au président l’appui du journal le Télégraphe, dont le rédacteur en chef, Duff Green, resta fidèle à la cause de Calhoun. Amos Kendall proposa à Jackson, pour le remplacer, son ancien collaborateur de l’Argus, Francis-P. Blair. Aucun choix ne pouvait être plus heureux. Blair, qui avait alors trente-neuf ans, et qui avait été activement mêlé, dans le Kentucky, à la politique et aux affaires, était doué d’un talent supérieur de journaliste, d’un grand sens politique, d’une habileté et d’un tact incomparables. Il fonda, le 7 décembre 1830, le Globe, pour remplacer le Télégraphe comme organe officieux de l’administration, et il succéda à Duff Green dans le kitchen cabinet. Il s’était identifié, comme Kendall, avec les tendances et les passions qui dirigèrent la politique de Jackson, et il exerça pendant longtemps avec lui une influence considérable sur cette politique.

La querelle de Jackson et de Calhoun resta quelque temps ignorée. Le bruit s’en répandit à la fin de 1830, et Calhoun la rendit publique au mois de mars 1831 en faisant imprimer sa correspondance avec Jackson, précédée d’une préface adressée au peuple des États Unis. L’opinion, disait-il, avait été trompée par des récits mensongers, et le soin de son honneur l’obligeait à rétablir la vérité. Le président prépara une réponde à cette publication, mais il renonça à la faire paraître et il la légua à Blair, avec tous ses papiers. On peut la lire dans le grand ouvrage de Boston, où elle a été

  1. Adams rapporte, d’après une conversation avec Calhoun, que celui-ci, en déclarant que Jackson avait eu, dès l’origine, l’intention arrêtée de s’emparer des forts espagnols, avait entendu faire allusion à certaines rumeurs qui attribuaient an général des intérêts dans des spéculations sur les terres à Pensacola. (Diary, march 2, 1831.)