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Ce ferme langage fit enfin son effet, et, les fumées du vin une fois dissipées, Frédéric se mit tout simplement à l’œuvre, non pour diriger contre le Hanovre une opération militaire, mais pour rédiger et faire parvenir à Londres d’une part, et à Francfort de l’autre, deux plans de nature beaucoup moins aventureuse. L’un et l’autre étaient conçus dans la pensée d’éloigner le péril qu’il redoutait, sans recourir, du moins en son propre nom et à ses propres risques, au hasard d’une guerre nouvelle. L’un de ces projets (celui qui fut soumis au cabinet anglais), consistait à offrir à l’empereur une extension de territoire aux dépens, non de l’Autriche, mais d’un certain nombre des petits états de l’Allemagne. Quelques principautés ecclésiastiques, comme les évêchés de Salzbourg et de Passau, pourraient être sécularisées, quelques villes libres, comme Ulm, Ratisbonne et Augsbourg, privées de leur indépendance et réduites à leurs franchises municipales. On formerait ainsi de ces petites fractions réunies un lot honnête qui viendrait grossir le patrimoine de la Bavière, sans exiger de Marie-Thérèse de nouveaux sacrifices.

L’autre plan, plus simple en apparence, était pourtant d’une exécution plus difficile. Il s’agissait de pousser Charles VII, menacé dans sa sécurité personnelle, à faire un appel solennel à la diète germanique pour la sommer de défendre le chef de l’empire par des mesures efficaces. A cet effet, les contingens impériaux des diverses puissances seraient convoqués et formeraient une armée qui, sous le nom d’armée d’observation et de neutralité, serait chargée de protéger contre l’invasion étrangère l’intégrité du sol germanique. Frédéric espérait que la crainte seule d’avoir affaire à tout l’empire arrêterait les velléités belliqueuses de l’Angleterre. En tout cas, les contingens prussiens étant certainement les plus nombreux, les seuls aguerris, les seuls en état de répondre à l’appel, leur chef serait naturellement placé à la tête de toutes les forces fédérales. Ce ne serait plus alors le roi de Prusse qui aurait à combattre pour sa cause personnelle, mais le prince le plus considérable de l’empire qui veillerait au salut de la patrie commune, et, sous ce costume ou ce masque nouveau, on ne pourrait lui reprocher de violer les engagemens pacifiques si récemment pris à Breslau. On peut croire que cette perspective, sans qu’il désirât précisément la voir réalisée, ne lui déplaisait pourtant pas. Il lui souriait assez de se voir, en imagination, placé en quelque sorte sur les marches du trône impérial, figurant comme le bras armé du grand corps dont Charles VII n’eût plus été que le chef nominal. Merveilleux instinct du génie ! des caprices même, de l’agitation tumultueuse et désordonnée de ce grand esprit, naissait une pensée dont il ne soupçonnait peut-être pas lui-même la portée vraiment prophétique : il faisait de la Prusse