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le rempart et le bouclier de l’unité germanique, en attendant qu’elle pût en être l’incarnation.

Seulement, les deux plans mis en avant, le même jour, par Frédéric, se contrariaient directement l’un l’autre, car c’était, il faut bien le dire, une étrange manière d’entrer en campagne pour défendre l’empire que de commencer par sacrifier d’un trait de plume, dans la personne des princes évêques et des citoyens des villes impériales, les moins puissans, mais non les moins intéressans de ses membres. Cette manière cavalière de disposer du bien d’autrui pour solder un compte embarrassant, cet abus de la force contre les petits et les faibles, rappelaient trop les habitudes et les procédés d’esprit de l’envahisseur de la Silésie, pour qu’on fût tenté de lui confier le rôle de protecteur et de champion du droit. Aussi, dès que le soi-disant projet prussien de pacification fut connu, ce fut d’un bout de l’empire à l’autre un cri de réprobation universel. Par extraordinaire même, les diverses communions religieuses qui se partageaient l’Allemagne et se surveillaient ordinairement avec jalousie se trouvèrent ce jour-là d’accord ; car, tandis que les catholiques prenaient fait et cause pour leurs évêques, la plupart des villes libres, étant protestantes, firent appel pour se défendre aux sympathies de leurs coreligionnaires. Entre l’Autriche et l’Angleterre ce fut à qui s’empresserait d’exploiter ces pieux sentimens. Marie-Thérèse jeta feu et flammes pour les droits de l’église violés ; Carteret disait en raillant au ministre de Prusse à Londres : « Qu’on fasse des évêques ce qu’on voudra, mais deux princes protestans comme George et Frédéric peuvent-ils sacrifier ceux qui ont souffert pour l’évangile ? » Et le ministre impérial ayant paru un instant ouvrir l’oreille à une proposition où il trouvait l’avantage de son maître, Charles VII fut obligé de le désavouer avec éclat, pour ne pas être accusé de fouler aux pieds, tout à la fois, les canons ecclésiastiques et les, constitutions de l’empire[1].

On peut juger par là de l’accueil qui attendait l’autre proposition prussienne, lorsque l’empereur, s’en faisant l’organe, vint demander à la diète germanique, réunie à Francfort, de pourvoir par des mesures militaires à la sécurité de l’empire. Il fut tout de suite aisé de voir que la partie était perdue d’avance, et que, dans une assemblée très timide de sa nature, le moyen d’obtenir un acte de vigueur n’était pas d’avoir commencé par inquiéter chacun, petit et grand, sur le sort qu’on lui réservait dans la liquidation finale et les périls personnels qu’il pouvait courir.

En premier lieu, sur les neuf voix qui formaient le collège des princes électeurs, deux, celles du Hanovre et de la Saxe, étant

  1. Pol. Corr., t. II, p. 355. — Podewils au roi de Prusse.