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il professait hautement et sans réserves la doctrine de la nullification ; il adjurait le gouvernement fédéral de rapporter la fatale mesure qui compromettait la paix publique et l’existence même de l’Union. Son langage était plein de menaces. « Si nos frères, disait-il, restent sourds à nos plaintes, les germes de la dissolution soit déjà semés, et nos enfans en recueilleront les fruits amers. »

Tant qu’avait duré ce discours, Calhoun, assis au fauteuil de la présidence, avait encouragé du regard et du geste le jeune orateur, qui s’était fait l’éloquent interprète de sa pensée. Lorsque Hayne eut cessé de parler, ses collègues du Sud lui firent une chaleureuse ovation et saluèrent cette brillante apologie de leur cause comme une première victoire.

Le défi jeté à la Nouvelle-Angleterre ne pouvait manquer d’être relevé par le grand Orateur qui en était alors la plus illustre personnification. Dès le lendemain, dans la séance du 30 janvier 1820, Webster prit la parole pour répondre à Hayne.

Daniel Webser, alors âgé de quarante-huit ans, était dans la plénitude de son talent et de sa renommée. Par la nature de son éloquence comme par les tendances de son esprit, il se rattachait plus qu’aucun de ses contemporains à la grande école des orateurs politiques anglais du XVIIIe siècle. On admirait dans ses discours l’élévation et la vigueur de la pensée, la perfection de la méthode, la clarté de l’exposition, la sévère simplicité d’une langue nerveuse et sobre. Sa stature athlétique, sa tête puissante, son large front, qu’éclairait un regard limpide et expressif, lui donnaient un aspect imposant : sa voix forte et pleine avait l’accent du commandement, et l’autorité naturelle de son geste s’harmonisait avec la solennité dépourvue d’emphase de sa parole. Il rappelait par sa tenue et jusque par s détails de son costume habituel ces premiers hommes d’état de la république américaine, dont il avait fidèlement conservé les doctrines et dont il répétait à une génération nouvelle les patriotiques enseignemens.

Quoiqu’une foule nombreuse se pressât pour l’entendre dans l’enceinte du sénat, il se leva au milieu d’un religieux silence. Après avoir repoussé avec une hautaine et mordante ironie les attaques personnelles dont il avait été l’objet, il évoqua en quelques paroles, sobres et émues, les grands souvenirs dont s’enorgueillissait la Nouvelle-Angleterre et l’époque où les luttes de l’indépendance et la glorieuse administration de Washington avaient rapproché le Nord et le Sud dans une pensée et une œuvre communes. Il s’étonna des audacieuses doctrines et des étranges théories constitutionnelles qu’on venait d’exposer au nom de la Caroline du Sud, comme si les mesures aujourd’hui si sévèrement condamnées, le tarif, le privilège de la Banque, le système des améliorations intérieures,