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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/187

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les fragmens dispersés et déshonorés de cette Union, autrefois glorieuse, des états désunis, livrés à la discorde et à la lutte, un pays déchiré par la guerre civile et peut-être baigné dans le sang de frères ennemis ! Puissent, au contraire, mes regards affaiblis et mourans contempler cette noble bannière de la république, aujourd’hui connue et honorée du monde entier ! Puissent-ils la voir toujours fièrement déployée, étalant dans tout leur éclat primitif ses armes et ses trophées, sans qu’une seule de ses barres ait été effacée ou souillée, sans qu’une seule de ses étoiles ait été obscurcie ! Puissent-ils n’y pas voir inscrire cette folle et trompeuse devise : la liberté d’abord et l’Union ensuite ! mais puissent-ils y lire en caractère lumineux et vivans, resplendissant dans ses vastes plis, rayonnant sur la terre et sur l’océan, à tous les vents et à tous les cieux, cette autre devise chère à tous les cœurs vraiment américains : La liberté et l’Union maintenant et toujours unies et inséparables ! »

Au moment où l’orateur cessa de parler, le sénat l’écoutait encore subjugué par l’autorité de sa parole et dominé par une émotion profonde. Ce ne fut qu’après quelques instans de silence qu’éclatèrent de toutes parts d’enthousiastes applaudissemens. Ce discours fut le chef-d’œuvre de l’éloquence de Webster et peut-être le plus grand acte de sa vie publique. Le retentissement en fut immense. Ce cri d’alarme avait signalé à tous les amis de l’Union l’imminence du péril, et cette exposition magistrale des principes de la constitution avait fait justice des sophismes des partisans de la nullification.

Jackson lui-même qui, au début de la querelle, avait paru vouloir se refermer dans une silencieuse neutralité, comprit qu’il ne pouvait tarder plus longtemps à prendre parti dans la lutte qui allait s’engager. Il était d’usage depuis vingt ans de célébrer par un banquet, le 13 avril, l’anniversaire de la naissance de Jefferson. On avait résolu de donner cette année à cette fête une solennité inaccoutumée à l’occasion de l’avènement du nouveau président, que le parti démocrate affectait de représenter comme l’héritier de la politique de Jefferson. Jackson devait assister au banquet avec le vice-président et les membres du cabinet, et les nullificateurs espéraient faire sortir de cette réunion une manifestation publique en faveur de leurs doctrines. Lorsque le moment des toasts fut arrivé, le président se leva et ne prononça que ces mots : « A notre union fédérale ! Il faut qu’elle soit maintenue ! » A la brièveté même de ces paroles et à l’accent d’autorité avec lequel elles avaient été proférées, il était facile de reconnaître que ce n’était pas une vaine déclaration. C’était un défi jeté par le premier magistrat de la république aux tendances séparatistes du Sud. Calhoun le releva aussitôt en portant le toast suivant : « A l’Union ! à notre bien le