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L'ANNEXION DE MERV
A LA RUSSIE

Un télégramme laconique vient d’apprendre au monde que Merv était annexé à la Russie, « les chefs des tribus ayant demandé à l’empereur de les gouverner. » — Si le Times, à qui rien n’est impossible, fait un service au pays des ombres, le feu lord Beaconsfield a dû tressaillir de surprise et de colère sous les dalles de Westminster ; il aura vainement attendu qu’un leader de son parti fît retentir aux Communes le cri de la vieille Angleterre, et stupéfait de ne rien entendre, il se sera demandé si des siècles insensibles ont coulé depuis le jour où l’Angleterre déclarait que l’occupation de Merv serait un casus belli. Des siècles, non : trois années à peine. Avait-on assez écrit, tremblé, maudit, menacé, en prévision du fait qui nous trouve si indifférens ! Trois années ont suffi pour réduire à néant une grosse question diplomatique et montrer, une fois de plus, que les soucis des politiques sont aussi sérieux, aussi durables que les soucis des amoureux. Alors qu’ils pâlissent sur une dépêche, les diplomates qui ont lu l’histoire et qui ont de l’esprit, — il y en a, — doivent entendre un grand rire montant du passé, se prolongeant sous leur plume et chuchotant : Vanité ! vanité !

Deux causes expliquent la résignation actuelle du cabinet de Londres, après un émoi si bruyant et de si fraîche date. La première saute