Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accusa, les intérêts manufacturiers, Clay sauvait en réalité, au moyen de ce compromis, tout ce qui pouvait, dans ces conjonctures, être conservé du régime protecteur : ce n’en était pas moins l’abandon du « système américain » par celui qui en avait si fièrement revendiqué l’honneur. Aussi fut-il vivement attaqué par les champions de l’industrie du Nord, et le succès était fort incertain lorsque Calhoun, inquiet des conséquences de la résistance de la Caroline, à laquelle les autres états du Sud avaient refusé de s’associer, se décida à appuyer le compromis moyennant quelques modifications de détail acceptées par Clay.

Le projet fut voté à la chambre des représentai, le 26 février, par 119 voix contre 85 ; il fut porté le jour même au sénat, où il réunit 29 voix contre 16. Le lendemain, la chambre adopta à la majorité de 111 voix contre 40 le force bill qui avait été voté précédemment par le sénat. A la nouvelle de ce double vote, la convention de la Caroline du Sud fut convoquée pour le 11 mars : elle rapporta l’ordonnance de nullification du tarif, mais, pour affirmer de nouveau les droits qu’elle avait revendiqués, elle prononça la nullification du force act.

Telle fut l’issue de cette longue et redoutable crise. Le véritable vainqueur, a dit M. de Holst dans son Histoire constitutionnelle des États-Unis, ce fut Calhoun. Nous ne saurions souscrire à ce jugement. Le Sud avait obtenu sans doute l’abaissement du tarif, et Calhoun pouvait soutenir que la victoire si longtemps disputée était due aux efforts des nullificateurs et à la résistance de la Caroline du Sud. Mais le vote du force bill était la consécration des droits de l’Union, la négation du principe de la souveraineté des états et l’attribution au gouvernement fédéral des pouvoirs nécessaires pour réprimer toute tentative nouvelle de sécession. Calhoun lui-même ne se faisait pas illusion sur la gravité de cet échec infligé à sa cause. « Tant que cette loi de sang souillera nos codes, écrivait-il au mois d’août 1833, tant que le gouvernement refusera de reconnaître les droits des états, nous resterons condamnés à un servage politique. »

Quant à Jackson, il était sorti grandi de cette épreuve. Il avait compris les devoirs de chef d’une grande nation et il les avait remplis sans violence et sans faiblesse. Il avait soutenu et fait prévaloir la cause de l’Union et les véritables principes de la constitution américaine ; il avait mis à leur service son pouvoir et sa popularité. C’est la page la plus pure et la plus glorieuse de son histoire.


ALBERT GIGOT.