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lendemain isolée en face de la réconciliation subite, opérée par lui-même, de toute l’Allemagne et de l’Angleterre ? C’est ce dont il ne prenait probablement pas la peine de s’occuper[1].

Mais Valori, que tant d’expériences avaient mis sur ses gardes, doutait un peu de la sincérité de ce beau zèle, et toujours inquiet de ce que pouvaient se dire dans de longues et vives conversations lord Hyndford et Frédéric, il crut pouvoir user de la camaraderie amicale qui s’était établie par le fait entre son collègue et lui pour tâcher d’en savoir un peu plus long. « Il est venu droit à moi, raconte Hyndford, après le dîner, et m’a dit : « Mylord, je vais vous faire une question à laquelle je ne sais pas si vous voudrez répondre. Je vous prie de ne pas trouver ma curiosité trop inconvenante… Vous pourrez ne me rien dire ou faire la réponse qu’il vous plaira. » — Je dis au marquis que je ne serais jamais embarrassé de lui répondre, parce qu’il était trop bien élevé pour me faire une question déplacée. Il m’exprima alors le désir de savoir si le roi mon maître avait prié le roi de Prusse d’offrir sa médiation entre l’empereur et la reine de Hongrie. Je lui répondis négativement sans hésiter. Mais, mon cher marquis, ajoutai-je, puisque vous m’avez mis sur le sujet du roi de Prusse, si vous voulez me donner votre parole d’honneur de ne jamais révéler ce que je vais vous dire, je vous dirai quelque chose qui vous surprendra. Il mit sa main dans la mienne et me fit la promesse que je lui demandais de la manière la plus solennelle. Je lui dis alors : « Je ne sais si la bonne opinion que vous avez du roi de Prusse et les protestations d’amitié qu’il fait à votre cour vous permettront de croire qu’au même moment, il essaie avec insistance de persuader au roi mon maître d’attaquer la France sur son territoire au lieu de marcher en Allemagne. » L’étonnement du marquis passa alors toute expression. Après s’être tu quelques instans : « Est-il possible, s’écria-t-il, qu’un prince soit si perfide ? Mais puisqu’il en est ainsi, la France n’a plus qu’à penser à elle-même et à planter là l’empereur, dont vous ferez ce qui vous plaira. — Je vous l’avais bien dit, put ajouter Hyndford, quelques jours après, cet homme est exécrable[2]. »

Si juste que pût paraître l’épithète, c’était pourtant toujours un homme à ménager. Aussi, remis de sa première émotion, Valori rendait compte de la confidence dans des termes un peu plus modérés. « Lord Hyndford, dit-il, m’a confié sous le plus grand secret, et sur ma promesse la plus formelle de ne jamais le compromettre, que le roi de Prusse avait fait proposer à l’Angleterre de porter

  1. Valori à Amelot, 11, 15 décembre 1742, 19 février, 19, 22 mars 1743. (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)
  2. Hyndford à Carteret, 1er février 1743. (Correspondance de Prusse. Record Office.)