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d’un fourbe, ne fit aucune difficulté de tout promettre et les circonstances où je me trouvais m’obligeaient à feindre de tout croire[1]. »


II

Le plan de campagne du maréchal de Noailles, agréé par Louis XV et par son conseil, consistait, comme je l’ai dit, à se porter entre le Rhin et le Mein, pour arrêter l’armée dite pragmatique au passage et l’empêcher de pénétrer dans le Haut-Palatinat. Le but était de venir en aide à l’armée française, encore campée en Bavière, et qui, sans ce secours, courait risque de se trouver complètement cernée entre les Anglais tombant sur ses derrières, le prince Lobkowitz la prenant en flanc du côté de la Bohême, et le prince Charles de Lorraine arrivant d’Autriche pour l’attaquer en tête. Mais quel devait être, dans l’ensemble des opérations, le rôle assigné à l’armée de Bavière elle-même ? Quelle part devait-elle y prendre ? Quelles instructions devaient être adressées au maréchal de Broglie qui la commandait ? C’était une question très délicate laissée encore incertaine et, par des motifs de divers ordres, très difficile à résoudre.

Il fallait tenir compte d’abord de l’état de délabrement et de désarroi dans lequel ces troupes étaient tombées après plusieurs mois passés, par une saison très rigoureuse, dans un pays ruiné et dans des campemens détestables. Sur ce point, de la part des chefs comme des soldats, c’était un gémissement universel. Dès le 28 janvier, le maréchal de Broglie, écrivant au nouveau ministre de la guerre, le comte d’Argenson, lui faisait de cet état de misère la peinture la plus lamentable, tandis qu’il estimait toutes les forces ennemies auxquelles il avait affaire à plus de 60,000 hommes : « Les soixante-sept bataillons de notre armée, disait-il, sur le pied de 400 hommes, qui est le plus fort où ils puissent être, sans y comprendre les traîneurs et les miliciens qui resteront en chemin, ne feront que 26,800 hommes. Les quatre-vingt-onze escadrons de cavalerie et de dragons complets sur le pied de 120 hommes par escadron, feront 10,920 chevaux, ce qui, joint à l’infanterie, feront 37,720 hommes, de sorte que l’armée ennemie se trouve supérieure à la nôtre de 22,780 hommes. » — Et il ajoutait :

  1. Histoire de mon temps, chap. VIII. — Nous citons ici le premier texte de cet ouvrage, écrit par Frédéric en 1746, et qui fut remanié par lui depuis lors en 1775. Dans ce premier travail, Frédéric parlait de lui-même à la première personne au lieu d’employer la troisième comme il fit dans le second, en suivant l’exemple de César dans ses Commentaires. Plusieurs passages cités, notamment celui qui est ici, ont été considérablement modifiés en passant d’un texte à l’autre.