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dans ce moment ici même à Votre Majesté. — Oh ! répondit-il, j’aime trop ce prince pour ne pas lui souhaiter, à quelque prix que ce soit, toute sorte de succès[1]. »

Mais Valori ajoutait un peu tristement quelques jours après : « L’annonce de notre armée sur le Rhin produit l’effet contraire à ce qu’on aurait pu désirer. Podewils me dit que, puisque le roi envoyait une armée capable de s’opposer aux entreprises des Anglais, c’était suffisant et le roi son maître n’avait plus de parti à prendre[2]. »

Ainsi finissait, par un acte de résignation tardive, cette suite de scènes orageuses, qui n’étaient de nature à grandir le héros de l’Allemagne ni dans l’estime des spectateurs, ni même dans la sienne propre, car il en rend compte dans ses Mémoires avec plus de sincérité dans l’aveu de ses sentimens que d’exactitude dans l’exposé des faits. Les menaces impuissantes qu’il avait adressées à l’Angleterre ne sont plus dans ce récit que des représentations raisonnées et des supplications patriotiques. « Ce projet, dit-il (celui de l’invasion des Anglais en Allemagne) ne pouvait pas me convenir… parce que la maison d’Autriche y gagnait par là une entière supériorité sur l’empereur ; .. ce qui me faisait perdre en partie l’influence que j’avais dans les affaires de l’empire, et qu’il y avait beaucoup à craindre que la reine de Hongrie et le roi d’Angleterre, aveuglés par leurs succès, ne s’oubliassent au point de détrôner l’empereur. Je crus qu’il ne me serait pas impossible de suspendre ce projet par des représentations, en me servant de tous les argumens que peut fournir à un prince allemand, bon patriote, l’amour de la liberté de sa patrie : je conjurais le roi d’Angleterre de ne point transporter, sans des raisons très importantes, le théâtre de la guerre en Allemagne, et d’altérer les lois fondamentales de l’empire, par lesquelles il est défendu aux membres du corps germanique de faire entrer des troupes étrangères sur le territoire de l’empire sous quelque prétexte que ce pût être sans le consentement de la diète. Dans le fond, mes affaires ne me permettaient pas alors d’opposer la force à la force ; la chose elle-même n’importait pas une rupture. J’avais indisposé la France ; si je me brouillais avec les Anglais, je perdais les seuls alliés que j’avais et j’entrais dans une guerre dont le sujet m’était étranger en quelque manière. Je me contentai d’un mauvais accord par lequel le roi d’Angleterre s’engageait de ne rien entreprendre contre la dignité de l’empereur ni contre son patrimoine. Carteret, qui cachait sous le langage d’un honnête homme les vices

  1. Valori au roi, 9, 19 mars 1743. (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)
  2. Valori au roi, 9,19, 30 mars. (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)