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discussion engagée entre le maréchal et l’empereur, qui se poursuivit pendant tout l’hiver sur un ton d’aigreur croissant et qui était parvenue à une véritable exaspération, quand on apprit d’une manière tout à fait certaine la marche des Anglais en Allemagne et les dispositions prises par le maréchal de Noailles pour se porter à leur rencontre.

Nouveau et encore plus grave sujet de dissentiment entre Bavarois et Français : l’empereur soutint que c’était le cas de se montrer audacieux en agissant pour empêcher les Autrichiens de faire leur jonction avec les Anglais. Broglie pensait, au contraire, que la réserve était plus commandée que jamais puisque, si les Français étaient vainqueurs sur le Rhin, ils seraient libres de reprendre l’offensive sur le Danube avec toutes leurs forces réunies et la confiance inspirée par le succès : au contraire, si la fortune ne les secondait pas, il importait à l’armée de Bavière de ne pas s’être coupé d’avance la retraite en s’enfonçant trop avant en Allemagne. Mais c’était justement cette dernière pensée, évidemment dominante dans son esprit, ce soin de se ménager des communications libres pour opérer au besoin sa retraite vers la France, qui lui était amèrement reprochée par l’empereur et tout son entourage. « Après tout, disait-on, victorieuse ou vaincue, la France ne songe qu’à nous laisser là, et M. de Broglie plus que tout autre n’est occupé qu’à préparer cet abandon. »

A plusieurs reprises, l’empereur, monté au plus haut degré d’irritation, porta ses plaintes à Versailles par des lettres directement adressées à Louis XV, et, à force d’insistance, il obtint une demi-satisfaction. « Ne trouvez-vous pas, disait le comte d’Argenson au maréchal, le 5 avril (dans un langage assez singulier pour un ministre), qu’il est temps d’agir un peu davantage pour ranimer la valeur des troupes et détruire l’opinion où les ennemis paraissent être que nous ne pouvons et ne voulons rien entreprendre ? Faites vos réflexions, monsieur, sur ce que j’ai l’honneur de vous demander. Sa Majesté ne vous prescrit rien, mais elle attend de votre zèle et de votre courage des entreprises en quelque façon au-dessus de vos forces[1]. » On engageait aussi le maréchal à traiter avec plus d’égards le commandant des troupes impériales et à ne pas refuser toujours de s’entendre avec lui. Satisfait de ces instructions pourtant assez vagues, Charles VII témoigna le plus vif contentement à Blondel, le résident français à Francfort. « Voilà parler, dit-il ; je vois bien que le roi veut agir vigoureusement et que M. le cardinal est mort. C’est lui qui ne faisait qu’hésiter et voulait nous

  1. Le comte d’Argenson au maréchal de Broglie, 5 avril 1743. (Ministère de la guerre.)