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tait pas de prendre le nom de professeurs, et le code rappelle à plusieurs reprises qu’ils n’ont pas droit aux mêmes privilèges que les rhéteurs et les grammairiens. Cependant l’empereur veut bien les recommander à la pitié des gouverneurs de provinces ; il ordonne à ces magistrats d’empêcher qu’ils ne soient accablés de charges trop grandes ; c’est un devoir d’humanité : ad præsidis religionem pertinet. Ils sont très pauvres d’ordinaire et ne pourront pas payer l’intérêt s’il est trop lourd. On a découvert à Capoue la tombe d’un maître d’école qui s’est donné le luxe de transmettre ses traits à la postérité. Il est représenté sur sa chaire, avec deux élèves, un garçon et une fille, auprès de lui. Des vers assez bien tournés sont gravés au-dessous du bas-relief. Après nous avoir dit que Chilocalus fut un maître honorable, qui veillait avec soin sur les mœurs des jeunes gens qu’on lui confiait, ils nous apprennent qu’en même temps qu’il faisait la classe, il écrivait des testamens avec probité :

Idem que testamenta scripsit cum fide.

Ainsi, son métier ne lui suffisait pas pour vivre, et il avait jugé bon d’y joindre une autre industrie, à peu près comme nos maîtres d’école, qui sont en même temps chantres d’église ou secrétaires de mairie.

Ces maîtres obscurs et mal payés ont pourtant rendu de grands services à leur pays. L’autorité ne parait pas s’être beaucoup préoccupée de l’instruction populaire ; il semble qu’elle ne se souciât que de celle des classes élevées. Heureusement on avait, à tous les étages du monde romain, le goût de savoir. C’est ce goût qui, sans que le gouvernement eût besoin d’intervenir, multiplia partout les écoles. Il y en avait dans les villages comme dans les villes, et jusque dans ces réunions de hasard, composées souvent de gens sans aveu, qui se formaient autour des centres industriels[1]. En somme, les illettrés devaient être rares. On est frappé, quand on parcourt les rues de Pompéi, d’y voir tant d’affiches qui couvrent les murs. Certainement il y en aurait beaucoup moins si les habitans n’avaient pas su lire. Ils savaient écrire aussi, et l’on relève

  1. En 1876, on a découvert en Portugal, près du petit bourg d’Aljustrel, dans une région montagneuse, une table de bronæ couverte d’une longue inscription latine. Cette inscription, qui est par malheur fort incomplète, contient un règlement au sujet de l’exploitation des mines de la contrée. On y voit qu’autour des mines il s’était formé un véritable village où se trouvaient des bains, des boutiques, tout ce qui pouvait servir aux besoins et aux divertissemens des ouvriers. Il y avait aussi des maîtres d’école auxquels le règlement accorde des immunités particulières : ludimagistros a procuratore metallorum immunes esse placet.