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romains n’ont jamais bien comprises. La philosophie, par exemple, ne leur sembla d’abord qu’un verbiage inutile ; la géométrie, les mathématiques ne les frappèrent que par leurs applications pratiques ; c’était pour eux l’art de compter et de mesurer, Cicéron dit qu’ils ne leur trouvaient pas d’autre importance. La grammaire et la rhétorique leur plurent davantage ; la première surtout ne leur semblait présenter aucun danger, et nous ne voyons pas qu’ils lui aient jamais fait une opposition sérieuse. La rhétorique leur inspirait un peu plus de méfiance. Quelques esprits scrupuleux redoutaient cet art nouveau qui enseignait des moyens de plaire au peuple que les aïeux n’avaient pas connus. Mais il était difficile de lui fermer tout à fait les portes de la ville. Si l’on empêchait le rhéteur de tenir des écoles publiques, comme on fit en 662, il lui restait la ressource d’enseigner dans l’intérieur des familles, où le contrôle des magistrats ne pouvait guère pénétrer. Une fois que quelques jeunes gens avaient reçu cette éducation qui leur apprenait à parler au peuple avec plus d’agrément, les autres étaient bien forcés de faire comme eux ; s’ils s’étaient obstinés à ignorer les finesses de la rhétorique grecque, ils se seraient exposés à être vaincus dans ces luttes de la parole où l’on gagnait le pouvoir.

Non seulement la grammaire et la rhétorique se firent insensiblement accepter des Romains, mais, ce qui était peut-être plus difficile, elles finirent par s’accommoder ensemble. Au début, elles s’entendaient assez mal ; on nous dit, que le grammairien voulait d’abord attirer à lui l’enseignement tout entier et faire l’office du rhéteur ; il est vraisemblable que le rhéteur, de son côté, afficha quelquefois la prétention de se passer du grammairien ; mais, à la longue, ces conflits cessèrent et chacun des deux maîtres eut son domaine déparé. C’est à peine s’il restait sur la frontière des deux sciences, comme sur la limite de tous les états voisins, quelques terrains vagues qu’on se disputait ; pour l’essentiel, on s’accorda. Ce fut un principe reconnu de tout le monde que la grammaire et la rhétorique doivent s’unir l’une à l’autre pour former un cours d’éducation complet.

Le grammairien commence, il prend l’enfant des mains du maître élémentaire qui lui a tant bien que mal appris à lire et à écrire, et il doit le livrer à celles du rhéteur tout préparé pour l’enseignement difficile de l’éloquence ; il aura donc beaucoup à faire. « La grammaire », dit Quintilien, « comprend deux parties » : « l’art de parler correctement et l’explication des poètes ». Chacune d’elles demande beaucoup de temps et de peine, pour bien parler, il faut connaître la valeur des lettres, la prononciation des syllabes, la signification des mots, puis savoir comment les mots s’unissent entre eux pour former des phrases : ce sont des détails qui ne finissent pas. L’expli-