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deaux dans l’enseignement de la grammaire et de la rhétorique, il emploie cette expression : Exegi municipalem operam. Aussi les professeurs n’étaient-ils pas regardés comme des fonctionnaires de l’état. Dans les discours des rhéteurs gaulois du IVe siècle, on dit à plusieurs reprises qu’ils sont de simples particuliers, « privati », et le ministère qu’ils remplissent est appelé privatum ministerium.

Mais sur cet enseignement municipal l’empereur, on vient de le voir, avait la main, et il était naturel que son autorité s’y fit de plus en plus sentir avec le temps. Quand les abus devenaient crians, il était forcé d’intervenir ; il lui fallait mettre à la raison les villes qui refusaient de faire les dépenses que réclamaient leurs écoles. Chez beaucoup d’entre elles, la condition des professeurs était très misérable. Libanius nous dit de ceux d’Antioche « qu’ils n’ont pas même une maison à eux et vivent dans des logemens de rencontre, comme des raccommodeurs de chaussures ». Ils mettent en gage les bijoux de leurs femmes pour vivre. Quand ils voient passer le boulanger, ils sont tentés de lui courir après, parce qu’ils ont faim, et foncés de le fuir, parce qu’ils lui doivent de l’argent. Cette misère est causée par la négligence ou la mauvaise foi des villes, qui ne tiennent pas les engagemens qu’elles ont pris. Libanius leur reproche de donner à leurs professeurs le moins qu’elles peuvent et de n’être jamais protes à les payer. « Mais », dira-t-on, « n’ont-ils pas leur traitement qu’ils touchent tous les ans » ? — « Tous les ans » ? « Non. Tantôt ils le touchent, et tantôt ils ne le touchent pas. On les fait toujours attendre, et on ne leur donne jamais qu’une partie de ce qu’on leur doit[1] ». » Il faut rendre cette justice aux empereurs du IVe siècle qu’ils ont été touchés de la situation malheureuse des professeurs et qu’ils ont essayé de rendre leur condition meilleure. Constantin fait une loi pour ordonner que désormais on les paie plus exactement : Mercedes eorum et salaria reddi præcipimus. Gratien, l’élève d’Ausone, va plus loin : il déclare qu’il ne veut pas souffrir que leur traitement soit abandonné au caprice des cités et il fixe ce que chacune d’elles, selon son importance, doit donner à ses grammairiens, et à ses rhéteurs. Nous dirions aujourd’hui qu’il inscrit leurs appointemens dans le budget municipal parmi les dépenses obligatoires.

  1. Il convient pourtant de faire quelques exceptions. Il y avait des villes qui non-seulement payaient bien leurs professeurs, mais qui s’imposaient des sacrifices pour enlever à quelque ville voisine un maître renommé et le fixer chez elles. Libanius raconte que Césarée parvint à conquérir par des offres très séduisantes un rhéteur célèbre d’Antioche. Les habitans de Clazomène ayant essayé d’attirer dans leur ville Scopélianus, qui enseignait à Smyrne, ce rhéteur, qui ne trouvait pas que Clazomène fût un théâtre digne de lui, répondit avec impertinence : « Il faut un bois aux rossignols ; ils ne chantent pas dans une cave. »