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réaliser le plan tout contraire qu’avait proposé le maréchal : — « Dans le cas, disait la dépêche, où vous seriez obligé de quitter le Danube soit pour ramener l’armée à Straubing, soit pour aller joindre celle du maréchal de Noailles et opérer ensemble, comme vous le proposez, il y aurait des mesures et des précautions à prendre sur lesquelles j’adresse un mémoire détaillé à M. de Vanolles (le chef de l’intendance) qui vous en rendra compte pour recevoir vos ordres sur ce qu’il contient. J’en envoie une copie au maréchal de Noailles par rapport aux arrangemens qu’il y aurait à prendre de sa part si la marche de votre armée était déterminée sur Wimpfen. »

La pièce ainsi rédigée, de manière à mettre les opinions contraires en regard dans une espèce d’équilibre, chacun, comme on peut penser, à l’issue du conseil, ne se fit pas faute de la commenter à sa manière. Le ministre de l’empereur, le prince de Grimberghe, qui attendait à la porte pour savoir le résultat de la délibération, écrivit le soir même à Belle-Isle, avec qui il était resté en correspondance. — « Je m’aperçus au sortir de chez le roi que les ministres étaient fort affectés et, comme je sollicitais d’eux des réponses qu’ils m’avaient promises pour que je les envoyasse par un courrier de l’empereur, j’en ai arrêté quelques-uns par les discours desquels je reconnus que l’air du bureau était que, tout bien considéré, rien ne pouvait se faire aujourd’hui de plus utile pour les affaires de l’empereur que d’ordonner au maréchal de Broglie de se rapprocher incessamment du Rhin avec son armée et faire la droite du maréchal de Noailles… Je répondis qu’il n’y avait que le maréchal de Broglie dont le louable projet avait toujours été de revenir triomphant à la tête de son armée, ou bien quelqu’un de ses fidèles partisans qui pût penser de la sorte pour achever de le combler de gloire par une si belle fuite[1]. »

Broglie, en recevant ces instructions ambiguës, lut sans peine à travers les lignes et comprit qu’il avait des amis dans le conseil qui ne lui sauraient pas mauvais gré de désobéir. D’ailleurs, en cas que l’obéissance fût impossible, ne le laissait-on pas libre d’y manquer ? Or, pour lui, l’impossibilité était démontrée d’avance et la preuve n’était plus à faire. Son parti fut donc pris tout de suite de commencer son mouvement de retraite en suivant la ligne la plus courte pour rejoindre les bords du Rhin, où il espérait encore trouver le maréchal de Noailles, avant sa rencontre avec les Anglais. Le 19 juin, il se mit en marche, et le 22, parvenu à Donawerth, à deux étapes en arrière d’Ingolstadt, il écrivait à d’Argenson : « Si d’ici à deux ou trois jours, vous ne m’envoyez pas de courrier,

  1. Le prince de Grimberghe à Belle-Isle, 22 juin 1743. (Correspondance de Bavière. Ministère des affaires étrangères.) — (Mémoires du duc de Luynes, t. V, p. 23.)