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seraient prononcées ; ils devaient recevoir du roi un brevet « de sauvegarde et protection spéciale ; » ceux qui médiraient d’eux seraient punis de mort (déclaration du 17 mars 1716.) Les domestiques étaient autorisés à déposer contre leurs maîtres sous des noms supposés (déclaration du 1er avril.) Quand la chambre de justice commença à siéger, au couvent des Grands-augustins, elle s’entoura des instrumens de torture pour intimider les accusés et les dénonciateurs et elle fit procéder à plusieurs arrestations. La terreur et le désespoir s’emparèrent de tous ceux qui pouvaient être poursuivis. On dit que « l’épouvante fut telle que plusieurs hasardèrent leurs jours par la fuite et que d’autres les terminèrent par le suicide. » (Lemontey, Histoire de la régence.)

Mais la conscience publique ne tarda pas à se soulever contre ce système de violence et d’arbitraire. Le gouvernement reconnut « qu’on ne pouvait poursuivre un si grand nombre de personnes sans causer une interruption dangereuse dans le commerce,.. et qu’il était à propos de modérer la rigueur de la justice pour ne pas tenir plus longtemps les familles dans une incertitude capable d’arrêter le cours des affaires et de suspendre la circulation de l’argent. » Il se relâcha de la sévérité du premier édit, et convertissant les rigueurs des anciennes lois en peines pécuniaires, il se contenta « de retirer des financiers, par des taxes proportionnées à leurs facultés, au moins une partie de ce qu’ils avaient exigé de la nation, qui profiteroit de cette institution employée à libérer l’état. » Sur les quatre mille quatre cent soixante-dix personnes recherchées et poursuivies, qui avaient fourni un état de leurs biens montant à 712 millions, trois mille furent renvoyées, et les autres furent taxées à 220 millions, par des rôles que prépara la chambre de justice et qui furent ensuite arrêtés en conseil. En mars 1717, un an après que la chambre de justice avait été instituée, un édit la supprima, en déclarant « qu’il étoit temps de faire cesser un remède extraordinaire que les vœux de la France avoient demandé et dont il sembloit qu’elle désiroit également la fin. » (Déclaration du 18 septembre 1716 et édit de mars 1717.)

Lorsque les premières rigueurs de la chambre de justice furent modérées par le gouvernement, le régent, qui d’abord avait promis d’être inflexible, eut pitié, en même temps que le public, des financiers poursuivis. Suivant un des historiens les plus autorisés de la régence, « il accorda des réductions sur les taxes énormes qui dévoient grossir le trésor. Ce fut bientôt pour les courtisans une spéculation lucrative que de demander au duc d’Orléans des grâces qu’il ne savoit pas refuser. Dans leur premier effroi, les traitans vinrent implorer l’appui des nobles ; ceux-ci, quand l’alarme commença à diminuer, venoient eux-mêmes trouver les traitans et leur