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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/362

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vendoient leur protection au rabais. C’est de ce moment que date une alliance intime de la noblesse avec la finance. Les dames de la cour s’avilirent dans ce trafic. Les membres de la chambre se déshonorèrent par leur vénalité[1]. »

Par l’ensemble de ces mesures, le gouvernement de la régence, sans libérer complètement le trésor, ajourna les dangers les plus pressans et atténua la crise dans ce qu’elle avait de plus aigu ; mais il ne fit qu’accroître l’ébranlement et la gêne des fortunes privées, resserrer l’argent, paralyser les affaires. L’industrie sans travail, le commerce sans sécurité, étaient inactifs, et la chambre de justice, qui devait porter un nouveau coup à la prospérité et à la moralité publiques, venait de commencer ses opérations, quand furent publiées, le 2 mai 1716, des lettres patentes, portant privilège au sieur Law et à sa compagnie d’établir une banque générale, et de stipuler en écus de banque du poids et du titre de ce jour.


I

Il serait superflu de retracer ici l’origine et la vie aventureuse de Law, ses courses à travers l’Europe et sa passion pour le jeu. Doué d’une intelligence vive et d’une aptitude particulière à toutes les connaissances qui reposent sur le calcul, il fut frappé des services que rendaient au commerce les banques déjà établies à Londres, à Amsterdam, à Stockholm, à Gênes, à Venise ; il étudia leur mécanisme et se fit, sur le numéraire, sur le crédit, sur la circulation des valeurs, des opinions où l’erreur tient plus de place que la vérité, et qu’un historien économiste[2] a résumées avec précision et appréciées avec justesse.

« Law établissait : 1° Que toutes les matières qui ont des qualités propres au monnayage, c’est-à-dire à la représentation et à la numération des valeurs, peuvent être converties en espèces. — Mais il n’y a de bon numéraire que celui qui est en même temps le signe et le gage des valeurs échangeables, qui non-seulement sert à les compter, mais qui les vaut. La valeur se compose toujours de deux élémens, le travail qu’une chose a coûté et le besoin qu’on en a. Quelque travail qu’ait coûté une chose, si elle n’est pas désirée, quelque désirée qu’elle soit, si elle s’obtient sans peine et sans frais, elle perd de sa valeur. Aucune substance n’est propre au monnayage que quand elle coûte à produire à peu près ce qu’elle vaut, et quand le besoin qu’on en a équivaut au travail nécessaire pour en produire davantage. 2° Que l’abondance des espèces est le principe du travail, de la culture, de la population. — Mais, bien que

  1. Lacretelle, Histoire de France pendant le XVIIIe siècle.
  2. Sismondi, Histoire des Français, t. XXVII.