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avaient dû être employés en acquisitions d’immeubles, ou de valeurs mobilières alors si peu répandues en France, les prix en auraient aussitôt considérablement monté. La compagnie offrait, il est vrai, au public, cette somme de 1,200 millions en actions rentières[1] ou en contrats, à 3 pour 100 ; mais comment espérer que les anciens rentiers consentiraient, s’ils n’y étaient contraints, à s’imposer une perte annuelle de 1 pour 100 en acquérant ces titres pour remplacer ceux qui leur rapportaient 4 pour 100 ? Une combinaison nouvelle mit à leur disposition et à celle du public des valeurs plus attrayantes.

La concession des fermes générales avait encore fait monter les actions ; « elle avait été, dit Forbonnais, l’espèce d’enchantement qui enivra en quelque sorte toute la nation. » Law en profite aussitôt pour faire autoriser successivement la compagnie à émettre 300,000 actions nouvelles, non plus à 550 livres ou à 1,000 livres comme les filles et les petites-filles, mais à 5,000 livres : dix fois le pair de l’action de 500 livres. Ces titres nouveaux ne seront plus réservés aux anciens actionnaires ; la souscription sera ouverte à tout le monde ; le prix de 5,000 livres sera acquitté en dix paiemens égaux, le premier en souscrivant, et les neuf autres de mois en mois. Ces 300,000 actions qui, à 5,000 livres, produiront 1,500 millions et qui ne recevront que le dividende qui pourra leur être distribué, remplaceront, au grand profit de la compagnie, les actions rentières et les contrats à 3 pour 100, qui n’auraient donné que 1,200 millions, et auxquels il aurait fallu servir un intérêt fixe de 3 pour 100 : soit 36 millions.

L’empressement à souscrire les nouvelles actions fut tel que bientôt il parut nécessaire de réserver un privilège, pour leurs souscriptions, aux rentiers et aux créanciers de l’état, obligés d’employer les fonds qui leur seraient remboursés : il fut décidé que, jusqu’à nouvel ordre, il ne serait délivré de souscriptions qu’à ceux qui paieraient en récépissés de caisse de la compagnie, en billets de l’état ou de la caisse des receveurs généraux, en actions de la compagnie des fermes[2]. Ces effets montèrent aussitôt tellement que les négociations devinrent difficiles ; il fallut admettre de nouveau les souscripteurs à payer en billets de banque, et ces billets ne furent reçus qu’avec une prime de 10 pour 100 ; on en était venu à vouloir que le papier fît prime sur les espèces métalliques. Pour, consolider et pour accroître encore, s’il était possible, cette faveur du billet sur l’or et l’argent, le cours des espèces fut réduit, celui des louis à 33 livres et celui des écus à 5 liv. 16 s. (arrêt du 23

  1. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui des obligations.
  2. Arrêt du conseil du 26 septembre 1719.