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l’innombrable armée de Xerxès marcha sur Athènes, les Athéniens, ne pouvant défendre leur ville ouverte, montèrent sur les vaisseaux, pour combattre à Salamine, et envoyèrent leurs femmes et leurs enfans à Trézène, où ils furent très bien reçus. Pour montrer la grâce particulière de cette hospitalité, Plutarque ne dédaigne pas de nous apprendre que les Trézéniens firent un décret par lequel il était permis aux enfans athéniens de cueillir à leur fantaisie des fruits dans la campagne, et il croit devoir ajouter que l’auteur du décret fut un nommé Nicagoras. L’honnête historien tient à envoyer le nom de ce brave homme à la postérité. Le trait peut paraître bien simple et même un peu puéril, et pourtant qu’y a-t-il qui pourrait mieux montrer combien à Trézène les cœurs étaient attendris à la vue de ces orphelins exilés, dont la patrie allait être détruite par une épouvantable invasion, et dont les pères allaient mourir pour le salut de la Grèce ? Ce n’était pas une hospitalité ordinaire que prétendait donner la cité de Trézène, mais une hospitalité de famille. Moralement le trait est exquis, historiquement il est on ne peut plus démonstratif, parce qu’il ne ressemble à aucun autre.

Évidemment on peut faire les mêmes remarques sur les poètes modernes, car, si différens qu’ils puissent être des anciens, ils se montrent soumis à cette loi de précision, et c’est même la constance de cette soumission qui prouve que c’est une loi. Ainsi s’expliquent les plus originales beautés de Shakspeare et de Corneille. Leurs mots sublimes qui donnent à qui les entend pour la première fois une si soudaine émotion, qui arrêtent le sang ou le précipitent, ils ne sont que des vérités strictes qui résument et resserrent en brièveté éclatante une situation dramatique ou un état de l’âme. C’est de la lumière condensée, un éclair qui foudroie. Ils font tressaillir la foule par l’imprévu de leur étonnante justesse, Avec raison nous les appelons sublimes, puisqu’ils passent notre conception, mais nous pourrions aussi les appeler justes, car s’ils ne l’étaient point, ils ne porteraient pas coup. Ce ne seraient que de ces fusées brillantes, comme il en part souvent dans nos drames, que le public applaudit, comme toutes les fusées, dont il est ébloui sans être ému. Même ailleurs qu’au théâtre ces sortes de sentences, sans avoir besoin d’être sublimes, produisent un grand effet par la seule vertu de leur brièveté lumineuse. En politique, par exemple, elles ont souvent une puissance souveraine ; aussi les chefs d’état ou les tribuns ne manquent pas de créer de ces formules dont la justesse, apparente ou réelle, puisse surprendre et dominer l’opinion populaire ; même plus d’une fois des hommes d’esprit et de ressource ont eu pour fonction de frapper de ces médailles reluisantes, et sont devenus comme les fournisseurs attitrés des rois ou de leurs ministres. Sous la restauration, le comte Beugnot, en plus d’une circonstance, a été