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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/41

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27, les ennemis ayant évacué Aschaffenbourg pour se diriger sur Hanau, Noailles fit aussi passer le Mein à son corps d’armée, qui s’y établit. Puis, courant lui-même au poste où il avait laissé le duc de Gramont, il présida de sa personne au passage de ses troupes, qui s’emparèrent tout aussi heureusement du village de Dettingue. L’Anglais était ainsi pris au filet : il n’y avait qu’à le laisser avancer pour qu’il se trouvât à la fois cerné et criblé en tête, en flanc et en queue, de manière à ne pouvoir ni avancer, ni se maintenir plus de quelques heures. Du point élevé où s’était placé Noailles, il voyait déjà les batteries postées, au-delà du Mein porter le désordre dans les rangs ennemis qui passaient sous leur feu. Tout à coup, à sa grande surprise, il aperçut les troupes, qu’il avait laissées à Dettingue opérant un mouvement offensif qu’il n’avait pas commandé et débouchant dans la plaine où les Anglo-Autrichiens avançaient péniblement. Vainement se porta-t-il lui-même à toute bride pour arrêter une manœuvre qui dérangeait tous ses calculs, il était trop tard. C’était le jeune duc de Gramont, qui, au lieu de se contenter du rôle qui lui était assigné et croyant la journée gagnée, voulait s’en attribuer tout le mérite par un coup d’éclat. A l’instant, tout changea de face : l’artillerie du Mein dut cesser son feu, ne sachant plus sur qui porteraient ses coups lancés au hasard dans une mêlée où amis et ennemis étaient confondus. Puis, dans l’engagement qui suivit, les troupes de Gramont, si inopinément compromises et parmi lesquelles figuraient beaucoup de milices et de recrues, ne se trouvèrent nullement de force avec le gros de l’armée qu’elles venaient braver et se troublèrent quand cette infériorité fut trop visible. L’infanterie anglaise, au contraire, retrouvant l’avantage, qui, de tout temps lui a appartenu, résista, dit Noailles lui-même, comme une muraille d’airain. Pendant que Noailles allait chercher les troupes qu’il avait laissées en arrière à Asehaffenbourg et avant qu’il eût eu le temps de les amener à la rescousse, la débandade se mit dans les rangs français. La maison du roi, seule, tint bon, mais les gardes-françaises elles-mêmes lâchèrent pied, et beaucoup, prenant la fuite au hasard, se jetèrent dans le Mein pour passer à la nage.

Au même moment, à la vérité, une aventure assez ridicule arrivait au roi d’Angleterre : depuis le matin, il chevauchait à la tête de sa troupe, armé d’un énorme pistolet à sa ceinture, et, de plus, d’une épée de bataille d’une prodigieuse longueur, qu’il tirait de temps à autre en disant : « Sus au roi de France ! il est mon ennemi ; vous allez voir comme je le combats. » Pendant qu’il se livrait à ses vanteries, son cheval, effrayé de la canonnade, le jeta à terre et il se vit entouré d’un gros de cavaliers français qui allaient l’emmener prisonnier s’il n’eût été secouru à temps. L’action se