Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laisser à la justice son libre cours, afin que la sécurité des autres régens ne fût pas compromise par l’impunité du crime. À ces suppositions on peut opposer une déclaration contraire, d’après laquelle aucune demande d’intercession en faveur du condamné n’avait pu être adressée à Jean de Witt, « la fièvre continue qu’il eut pendant plus de huit jours n’ayant permis de l’entretenir d’aucune affaire. » Quoi qu’il en soit de ces allégations, le sursis à l’exécution de la sentence ne fut pas accordé, et Jacob van der Graef mourut avec courage, mutilé par le bourreau de Haarlem, qui le manqua une première fois avant de lui trancher la tête. Le jour de l’exécution, il fallut faire garder l’échafaud et prendre les mesures qui devaient empêcher la population de la campagne de venir tenter une émeute à La Haye. Le pasteur David Amya, qui avait visité Jacob van der Graef dans sa prison, publia la relation de sa captivité et de son supplice, qui fut vendue, en quelques jours, à plusieurs milliers d’exemplaires ; il y faisait un parallèle criminel entre l’assassin de Jean de Witt et l’ange de la Bible qui avait soutenu la lutte contre le patriarche Jacob. Les ennemis du grand-pensionnaire se servirent de ce libelle pour faire considérer son assassin comme un martyr.

Les trois autres meurtriers avaient échappé à toute poursuite. Ils s’étaient réfugiés au camp du prince d’Orange et y trouvèrent un asile, malgré les recherches des états, qui les désignèrent vainement au prince ainsi qu’aux chefs de l’armée. « Nous prenons cette affaire fort à cœur, lui écrivirent-ils, et nous avons résolu de faire voir notre ressentiment aux auteurs d’un attentat commis sur la personne de notre premier ministre. » Ils allèrent même jusqu’à dénoncer la protection occulte qui semblait dérober les fugitifs à la justice. « Nous sommes informés, écrivaient-ils qu’ils se sont sauvés parmi les troupes de l’état qui sont campées à Bodegrave ou en d’autres endroits que Votre Altesse sait bien. » Ces soupçons étaient justifiés. Non-seulement les complices de Jacob van der Graef ne furent pas inquiétés ; mais encore, deux mois plus tard, ils purent profiter de l’amnistie générale pour rentrer dans leurs demeures : l’un d’eux, Borrebagh, conserva son emploi de maître de poste et en obtint la survivance pour son fils, tandis que l’autre, de Bruyn, fut choisi par le nouveau stathouder comme l’un des magistrats municipaux de La Haye. La scandaleuse récompense de leur crime leur fut ainsi accordée.

Un secret mot d’ordre semblait avoir désigné les deux frères aux coups des meurtriers. Quatre jours après l’attentat ourdi à La Haye contre le grand-pensionnaire, Corneille de Witt, qui avait été obligé par ses douleurs articulaires de quitter la flotte, où il venait de se signaler glorieusement comme commissaire des états-généraux,