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relever son courage, toutes les ressources de l’éloquence persuasive dont il était doué et qui parut d’autant plus flatteuse aux oreilles du prince qu’elle différait davantage du régime rude et hautain auquel le maréchal de Broglie l’avait accoutumé, « Sire, lui disait Noailles en le suppliant de ne pas se laisser abattre, croyez-en la parole d’un vieux militaire qui s’est trouvé dans un grand nombre d’événemens et dans toute sorte d’épreuves. J’ai vu la France dans un temps où le succès accompagnait ses armées et je l’ai vue dans les temps de revers… J’ai vu deux fois le roi catholique forcé de sortir de sa capitale et deux fois son rival s’y faire reconnaître pour roi : la constance et la sagesse ont enfin triomphé ; il a chassé l’ennemi et il est demeuré maître de son état… Au surplus, c’est dans l’adversité et dans les revers que les grandes âmes se font connaître ; celle de Votre Majesté est de ce nombre. » Une lettre de change de 40,000 écus, que Noailles ne craignit pas de souscrire sous sa responsabilité personnelle ajoutait naturellement quelque poids à ces généreuses exhortations[1].

Après ces excitations données à son courage et ce soulagement à ses besoins pressans, il y avait encore une autre manière presque aussi efficace de calmer le pauvre souverain, c’était de satisfaire ses ressentimens en obtenant qu’un châtiment exemplaire fût infligé au maréchal de Broglie. C’est à quoi Noailles lui-même, très mécontent du collègue qui, en essayant de le secourir, n’avait fait que le compromettre, ne demandait pas mieux que de s’employer, « On ne pourra persuader à personne, écrivit-il avec vivacité au roi, que M. le maréchal de Broglie soit revenu sans les ordres de Votre Majesté, et on ne pourra le faire croire à l’Europe entière pas plus qu’à vos propres sujets si Votre Majesté ne donne des marques publiques et visibles de son mécontentement, qui prouvent qu’elle n’a aucune part à une démarche qui est sans exemple et qui peut devenir funeste dans ses conséquences. »

Il demanda donc non-seulement qu’on enlevât à Broglie son gouvernement de l’Alsace, mais qu’on l’éloignât de la cour et que l’on comprît dans sa disgrâce l’abbé de Broglie, qui était soupçonné (bien à tort, nous l’avons vu) de l’avoir encouragé. Il eut satisfaction, mais ce ne fut pas sans peine, car tous ceux qui avaient tremblé pour leurs parens savaient gré à Broglie de les avoir tirés de cette Allemagne détestée ; et les ministres (y compris celui de la guerre) n’étaient pas fâchés d’avoir, à quelque prix que ce fût, la libre disposition d’une armée qu’ils avaient presque désespéré de revoir.

  1. Noailles à l’empereur, 2 mai 1747. (Bibliothèque nationale. Fonds de nouvelles acquisitions.) — Blondel, résident à Francfort et Lautrec, ambassadeur auprès de l’empereur, juillet 1743, passim. (Correspondance d’Allemagne et de Bavière. Ministère des affaires étrangères.)