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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/43

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première, la complétant et la commentant d’une manière déplorable. C’était le désastre : les avantages partiels dont Noailles s’était prévalu dans sa première dépêche ne parurent plus alors qu’une atténuation calculée de la vérité, dont on imputa la faute, soit au maréchal, qui n’avait pas tout avoué, soit au gouvernement, qui n’avait pas voulu dire tout ce qu’il savait. Chose singulière et qui fait voir à quel degré était portée l’impopularité de la guerre d’Allemagne, on fut généralement plus sévère pour Noailles à moitié vainqueur dans l’accomplissement de ses instructions que pour la retraite de Broglie opérée en violation des siennes. Tandis qu’on admirait l’opération qui ramenait les troupes de Bavière, qu’on croyait perdues, saines et sauves sur le Rhin, on ne tarissait pas en plaisanteries sur l’imprudence du duc de Gramont et la lâcheté de ses soldats ; les gardes-françaises, sauvées à la nage, n’étaient plus appelées que les canards du Mein, et la journée tout entière reçut le sobriquet de bataille des bâtons rompus, parce qu’on supposait que le duc de Gramont et le duc d’Harcourt, qui le secondait, n’avaient songé par leur manœuvre irréfléchie qu’à gagner le bâton de maréchal. Plusieurs demandaient même sérieusement que les ducs fussent traduits devant un conseil de guerre ; et Noailles, pour avoir défendu ses parens, fut accusé d’avoir écouté avec faiblesse la voix du sang[1].

En revanche, si Paris lui fut sévère, il trouva à qui parler à Francfort, où il se rendit dans les jours qui suivirent la bataille. L’empereur y était déjà arrivé en fugitif, au comble de l’irritation comme de l’épouvante. Avant de quitter Augsbourg, il avait laissé au maréchal Seckendorf l’ordre d’obtenir à tout prix une suspension d’armes en promettant la neutralité absolue des troupes impériales. L’impératrice, les ministres, toute la cour se répandaient en imprécations contre le maréchal de Broglie d’abord, puis contre la France : c’était à qui voulait courir se jeter aux pieds du roi George et se mettre à sa merci. Ces menaces et ces malédictions étaient, à la vérité, de temps à autre interrompues par des supplications faites sur un tout autre ton, à l’effet d’obtenir quelques subsides dont le besoin était urgent. Non-seulement les troupes, mais même le service le plus intime et tout le personnel de la maison de l’empereur n’étaient pas payés ; ses domestiques ne recevaient pas leurs gages, et les fournisseurs de sa table se plaignaient tout haut d’être obligés de le nourrir à crédit. Quand Noailles arriva, il se jeta dans ses bras tout en larmes en le remerciant d’avoir, au moins lui, tenté quelque chose en sa faveur. Noailles employa, pour étancher ses pleurs et

  1. Mme de Tencin au duc de Richelieu, 11 juillet 1743. — Chambrier au roi de Prusse, 8 juillet 1743. (Ministère des affaires étrangères.)