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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/461

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REVUE DRAMATIQUE

À PROPOS D’UN PROCÈS DE THÉÂTRE

Un jugement du tribunal de la Seine, rendu le 8 de ce mois, soulève une rumeur dans les théâtres. Tel qu’il est, sans nous surprendre, il a de quoi nous émouvoir ; tel qu’on le publie et qu’on l’interprète, il étonne et fait scandale.

M. de La Rounat, directeur de l’Odéon, voulait reprendre les Danicheff. On sait que cet ouvrage, signé Pierre Newski, a deux auteurs : MM. Dumas fils et de Corvin. M. Dumas permettait cette reprise, M. de Gorvin s’y opposait : le tribunal a fait défense à M. de La Rounat de passer outre.

Pressés et distraits, les journaux voient ce résultat : ils en concluent tout net que le veto de l’un des auteurs suffit pour empêcher la représentation d’une pièce. M. Dumas lui-même, d’après les récits qu’ils font, n’a garde de conclure autrement : lésé par cette sentence, il est heureux d’en exagérer le sens pour en multiplier les effets ; il s’associe le plus de victimes qu’il peut ; c’est la meilleure manière d’intéresser beaucoup de gens à son sort, d’incliner l’opinion en sa faveur et de se concilier le public : malice de dramaturge ! — Imaginez que M. Meilhac, touché par la lecture de l’Abbé Constantin, entre en religion, et que renonçant aux biens comme à la gloire de ce monde, il veuille faire de ses œuvres un sacrifice agréable à Dieu, il pourra d’un seul coup, tarir une bonne partie des revenus de M. Ludovic Halévy et nuire à l’entretien de sa renommée. Supposez que M. Halévy, devenu membre de l’Académie française, craigne les succès de théâtre comme frivoles et malséans, il pourra jouer ce même tour à M. Meilhac. Ainsi le veut, d’après les journaux et d’après M. Dumas, le tribunal civil de la Seine.