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8 mars poussait les directeurs à varier leur affiche pour maintenir tout au moins au répertoire les ouvrages écrits en collaboration, ce serait déjà un bien ; le mieux viendrait peut-être ensuite, et les auteurs qui produisent tout seuls ne seraient pas plus mal traités que les autres ; les amis de la littérature dramatique devraient bénir le tribunal.

Est-ce le seul bienfait possible de cette jurisprudence ? Nous souhaitons surtout que ces périls fassent hésiter les écrivains sur le choix de la compagnie qu’ils acceptent. On nous dispensera de rédiger aujourd’hui un traité de la collaboration. D’aucuns prétendent que ce procédé blesse la dignité de l’art et s’écrient que les maîtres ne l’ont jamais pratiqué : l’œuvre littéraire, à leur avis, doit être toute personnelle. D’autres, au contraire, vantent cet usage moderne : « Si l’art dramatique français règne partout, à qui le devons-nous ? A la collaboration… » Il appartenait à M. Legouvé de prononcer cette parole. La vérité est que certaines collaborations, d’une sorte rare, entre des talens qui ne sont pas égaux, mais équivalons, sont à la fois utiles et honorables ; on les peut comparer à des mariages heureux. Celle de MM. Meilhac et Halévy en est le modèle : la combinaison de ces deux esprits a été parfaite, profitable à tous les deux et délicieuse pour le public. Que ce fût une combinaison et non une association, trop d’ouvrages l’attestent, qui forment un théâtre original, d’une fantaisie et d’un comique singulièrement exquis : le bénéfice et la gloire en doivent revenir à tous les deux. Un académicien, jadis, a bien pu répondre à M. Mazères, quand il sollicitait sa voix et lui citait comme titre à son estime une comédie écrite avec M. Empis, la Mère et la Fille : « Nous avons déjà reçu quelqu’un pour cela ! » Cette boutade, en l’espèce, avait une apparence de justice. Quand l’auteur de la Famille Cardinal, qui déjà s’approche de l’Académie, en aura franchi la porte, on serait mal venu à la refermer devant l’auteur du Petit-fils de Mascarille en lui jetant cette vieille plaisanterie au nez ; on serait mal venu à la reprendre par avance pour gêner l’entrée de son collaborateur ; autant vaudrait dire : « La preuve que vous n’êtes pas le père de cet enfant, c’est que j’en aperçois la mère, » et réciproquement. Mais les collaborations de cet ordre, hélas ! sont trop rares. Plus souvent que des mariages de ce genre, on voit des rencontres comme celles dont parle Figaro, — « marchés dans lesquels il y a un fripon et une dupe, quand il n’y en a pas deux. » Il y en a toujours deux, — deux dupes, s’entend, — lorsqu’une des parties est de beaucoup plus forte que l’autre : ainsi le déclare M. Dumas fils avec l’autorité de l’expérience ; c’est le dernier mot d’une épître insérée dans ses Entractes. Dumas père à peu près seul a fait la Tour de Nesle, mais la Tour de Nesle a fait deux dupes : Gaillard et Dumas père ; au moins chacun, de bonne foi, parut-il se compter pour une. Même opinion de soi-même chez MM. Dumas fils et de Girardin après le Supplice d’une