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du mot, c’est-à-dire universelle. Aux malheureuses qui viennent heurter à la porte elle ne demande pas : « Quel est le Dieu que tu sers? » Elle leur dit : « Tu souffres, tu es errante, sois la bienvenue; tu nous appartiens. »

Dans quel état arrivent-elles? On peut le comprendre en visitant les annexes du grand dortoir ; à côté d’une petite salle d’attente et d’un cabinet d’enregistrement, s’ouvre une pièce violemment aérée et qui sent le soufre, c’est la pouillerie. Là, autour d’un cylindre en tôle, on suspend les nippes que rien n’a épargnées : ni la pluie, ni le soleil, ni la crotte, ni le gravier des tas de sable sur lesquels on a dormi, ni la terre des fossés où l’on s’est couché. A côté de la robe d’indienne effilochée, on accroche le jupon déchiré, et les bas, quand il y en a, et la chemise, s’il en est. On purifie, on désinfecte ces pauvres loques, qui reprennent quelque consistance, perdent leurs parasites et leur mauvaise odeur. Dès que la femme a été accueillie à l’Hospitalité de nuit, elle est déshabillée et mise au bain. Elle aussi, comme son costume, elle a besoin de déposer au fond d’une baignoire toutes les scories étrangères dont elle est souillée. Il en est plus d’une qui regimbe et qui dit : « Un bain ? Pourquoi? Je ne suis pas malade. » Leur expliquer que la malpropreté est, sinon une maladie, du moins la cause de bien des maladies, serait peine perdue. On se contente de leur répondre : « C’est le règlement, » et on les surveille pour que l’ablution ne soit pas évitée. Dans bien des cas, l’étoupe et le savon noir seraient utiles ; si la maison est agrandie, si la salle de bains est ample et bien outillée, on y viendra. Le dortoir qui fait suite à la pouillerie est vaste, de construction récente et légère, — pans de bois et plâtre; — il doit être glacial, car j’y vois deux gros poêles en fonte que l’on allume le soir, pendant les mois d’hiver; les lits se pressent : on en a ajouté quelques-uns dans la partie médiane ; partout où une couchette a pu être installée, une femme de plus a été admise. Je compte soixante-huit lits dans cette seule salle ; on en a dédoublé quelques-uns pour en gréer une plus grande quantité ; réglementairement, chaque lit doit être composé d’une paillasse et d’un matelas; plusieurs n’ont que l’une ou l’autre; on ne s’en plaint pas : cela vaut mieux que le rebord des routes. Un traversin, des draps de forte toile et une couverture de campement complètent la literie, qui n’est inférieure en rien à celle des casernes et qui est supérieure à celle des navires.

Je suis surpris de voir cinq ou six lits si étroits et si courts qu’ils ressemblent à des berceaux. Ce sont des berceaux, en effet; qui accueille la mère ne peut repousser l’enfant. Un soir, une femme est venue, portant un pauvre petit dans ses bras ; elle a demandé