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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/607

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La majeure partie de notre population (qui compte près de cinquante millions d’âmes) est pénétrée à différens degrés d’une civilisation voisine de celle de l’Europe. Cooper et ses successeurs ne sont que les historiens d’un passé disparu. D’autres depuis ont fait ressortir le genre d’étrangeté qui peut exister dans une Nouvelle-Angleterre vieille de deux siècles, à part le récit des prouesses indiennes ou les brutalités d’un camp de mineurs. Quant à moi, j’ai consacré à la peinture des mœurs mondaines de New-York le même soin et la même fidélité que je souhaiterais de voir apporter par quelqu’un de mes confrères à l’étude de la société de Melbourne ou de Sydney, en admettant qu’il y ait une société australienne. »

L’éclosion plus ou moins heureuse, plus ou moins bizarre de toutes les fleurs de la civilisation dans un pays neuf où s’est déchaînée d’abord l’extravagance du luxe, favorisé par de colossales richesses, où le goût des arts ne s’introduit que peu à peu, voilà, en effet, ce qui doit nous intéresser aujourd’hui que la moisson est faite sur le sol jadis fouillé par les chercheurs d’or. Nous sommes curieux de connaître la société américaine proprement dite, avec les qualités et les défauts qui lui sont propres, les préjugés qu’elle a empruntés de ci et de là, les ridicules qui en résultent souvent au milieu de grandeurs qu’il ne faut ni surfaire, ni déprécier. Voilà pourquoi Democracy a été accueillie avec tant d’empressement des deux côtés de l’Atlantique; dans les pages de ce roman, dont il n’y a plus à parler, puisque tout le monde l’a lu, s’est rencontrée pour la première fois l’esquisse pleine de verve des mœurs politiques et sociales à Washington. M. Edgar Fawcett, de son côté, transporte ses lecteurs à New-York. A Gentleman of leisure, sans avoir la valeur de l’œuvre anonyme que nous venons de nommer, renferme de nombreux renseignemens instructifs pour notre vieux monde, qui, trop volontiers, lorsqu’il est question des États-Unis, se figure une république dans toute la force du terme, où les seules inégalités sont celles qui résultent du plus ou moins d’argent. Erreur grossière que pourraient dissiper, s’ils s’en souciaient, tant de millionnaires venus à Paris pour y tenir le haut du pavé, plutôt que de rester dans le pays natal où l’on se souvient trop de leurs origines vulgaires. Ils sont Américains, cela suffit,.. nous n’en demandons pas davantage ici pour aller à leurs fêtes.

— Avez-vous observé l’élément américain dans la vie européenne? dit un des personnages de M. Fawcett, certain journaliste anglais établi à New-York, qui joue, au cours du récit, le rôle d’un montreur de lanterne magique. Les rangs de la société anglaise elle-même (j’entends de la société anglaise qui s’amuse), s’ouvrent très volontiers aux Américains, dont le premier soin, en