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arrivant à Londres, est de se rendre favorable quelque personnage titré. La peine qu’ils prennent pour cela suffit à prouver l’absurdité des traditions qui les affublent de sentimens démocratiques. Celui-là réussit enfin à se lier avec lord X.., celle-ci à être reçue par lady ***. Et, dans leur patrie, ni l’un ni l’autre n’avait aucune importance sociale. En Angleterre, on leur sait gré de posséder beaucoup d’argent, de le dépenser volontiers et de suivre passionnément la mode. Il n’en faut pas davantage pour qu’on les accepte. Une fois, j’exprimai ma surprise à un fort grand personnage, Savez-vous ce qu’il me répondit : « Allons donc ! vous ne prétendez pas me faire accroire qu’il existe là-bas des distinctions de castes? » Je lui expliquai vainement qu’il en existait et de très tranchées ; il refusa obstinément de l’admettre. Les Anglais (on pourrait ajouter les Parisiens) croient tous les Américains taillés sur le même patron. Ils ne conçoivent aucune différence. Et pourtant si vous tenez à voir des distinctions sociales plus marquées que dans le pur faubourg Saint-Germain, ou chez le duc de Belgravia et le marquis de Mayfair, explorez le sol de la liberté, de l’égalité, de la fraternité.

Ce paradoxe ne suffirait-il pas à donner un intérêt piquant au livre de M. Fawcett? Son Homme de loisirs avec la Maison d’un prince marchand, de M. Bishop, inaugure, après Democracy, une nouvelle branche de la littérature américaine, issue d’un ordre de choses plus compliquées où les vicissitudes de l’émigration, les premiers empiétemens des pionniers sur la solitude des forêts vierges, les rudes combats pour l’existence tels qu’ils s’engageaient dans les défrichemens, tous les souvenirs enfin d’une ère primitive tiendront de moins en moins de place.

M. Fawcett, — parlons de lui d’abord, — doit être rangé par le caractère même de son talent au nombre des produits raffinés de la civilisation américaine. Nous l’avions apprécié jusqu’ici en qualité de poète surtout. Le recueil intitulé : Fantasy and Passion est rempli de délicates merveilles ciselées avec une recherche que ne désavoueraient pas les ouvriers de premier ordre parmi nos Parnassiens. Quelques-unes mériteraient le titre donné par Théophile Gautier à l’un de ses chefs-d’œuvre : Émaux et Camées. Ce petit volume suffit, dès son apparition, à établir la renommée de l’auteur, de même que Cloth of gold décida de celle d’Aldrich. On sait que plusieurs des romanciers américains ont d’abord cultivé la poésie, ce qui explique peut-être leur habileté à manier la langue anglaise, à la renouveler pour ainsi dire. Howells regrette que le succès de ses romans ait éclipsé celui de ses premiers vers. Il nous semble douteux, en revanche, que la prose de M. Fawcett nuise à ses sonnets : a Hopeless Case, malgré de jolis détails, an