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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/633

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Combien il est vivant ce Kingbolt de Kingboltsville, destiné lui-même un peu plus tard à une ruine retentissante, après avoir été l’idole acclamée du high life! Celui-là n’a jamais travaillé. lia laissé le soin de ses affaires à des représentans infidèles, et la responsabilité de certaines turpitudes commises par ces derniers retombe sur lui quoiqu’il soit alors en Europe. Encore un naufrage. Kingbolt .le swell, et Angelica, la flirt, font pendant. Même égoïsme, même orgueil, même frivolité arrogante, même éducation cosmopolite, chauffée à outrance. Ce jeune athlète, fils d’un alcoolique et dont les passions que rien n’a jamais réprimées ont presque le caractère de la folie, montre quel peut être l’effet d’un vernis d’emprunt sur une nature sauvage au fond. Tout petit, il avait des accès de colère convulsive qui obligeaient à l’enfermer dans une chambre capitonnée pour empêcher qu’il ne se blessât; ensuite il s’est livré aux pires folies. Tout ce qu’il désirait posséder, il s’en est saisi de par la force de son argent et de sa séduction personnelle, qui est grande. Seule, Angelica, tout en flirtant avec lui, opposait une résistance à son caprice effréné. Le goût qu’il a pour elle ressemble à l’envie de dompter un cheval rétif; il l’aura parce qu’elle se refuse, parce qu’elle est sur le point d’appartenir à un autre, parce qu’elle se moque de lui, parce qu’elle représente l’impossible. Et quand cet impossible est atteint, quand, par le magnétisme de son opiniâtreté invincible, Kingbolt est devenu le maître de la situation, il se refroidit naturellement. Vienne l’épreuve qui lui permettrait de se montrer généreux, il agit comme un drôle, il se retire, ayant d’avance épuisé sa fantaisie. Les intrépides et laborieux créateurs de fortunes fabuleuses ont trop souvent de tels fils, en Amérique comme partout ailleurs, nous l’avons déjà dit, mais là plus qu’ailleurs peut-être, parce que les énergies bonnes ou mauvaises y sont autrement ardentes que chez nos races épuisées.

Le jeune homme oisif et riche, l’héritière futile et vaniteuse, Phœbus Apollon et la déesse Diane, Arthur Kingbolt et Angelica Harvey, forment deux types absolument antipathiques auxquels nous pourrions joindre bien d’autres figures répulsives rencontrées dans les deux romans que nous venons d’analyser. L’œil se repose, en revanche, avec plaisir sur les traits charmans de Ruth et d’Ottilie, deux filles pauvres, deux filles de province, prêtes au combat pour la vie, sans avoir rien abdiqué de la grâce de leur âge, ni de la modestie de leur sexe. Encore Ruth a-t-elle, jusqu’à un certain point, le défaut de son pays, la sécheresse, mais l’exemple d’Ottilie prouve surabondamment que la femme accomplie entre toutes, courageuse et sincère, capable de tenir tête aux pires difficultés et de s’élever à