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Lacedonia, qui se tient clapie et ne veut pas se laisser voir. » Là-dessus j’entendis un éclat de rire. Je regarde, et je vois au fond de la pièce, long comme une perche, le corps du prêtre Pie, mon théologien.

« Tu te moques de moi, mon cher? — Un beau prêche ! un beau prêche ! — En effet, pour toi théologien, c’est un prêche. — Et, le prêche fini, la messe est finie. — Je ne comprends pas cela. — Écoute-moi bien, mon neveu. La messe finie, qui pense encore à l’église? — Théologien, théologien, tu as une mine d’hérétique! » Il riait toujours et me dit, se penchant sur moi : « Ciccillo (diminutif de Francesco; c’est ainsi qui! m’appelait enfant), tu seras toujours Ciccillo. — Celle-là est bonne ! — Tu as tant voyagé, et j’en sais plus que toi. — J’apprendrai, j’apprendrai. — As-tu lu la lettre Ad Quintitm fratrem ? — Je le crois. — Même dans les livres tu aurais pu apprendre la lutte électorale. Cicéron en parle. Et tu crois pouvoir faire une élection avec des discours ? — C’est avec des discours que les font les ministres. — Oui, ce qu’ils font, c’est la scène. Mais les coulisses sont faites par les préfets, les préteurs, les maires et tout ce qui s’ensuit. — Tu sais cela? Je commence à te croire. — Là-dessus, je pourrais t’en remontrer. Tu veux constituer une scène avec des décors imaginaires. Sais-tu seulement qui sont les électeurs? Tu prétends les convertir avec un coup de baguette oratoire? — C’est un miracle qui est pourtant arrivé. — Oui, mais derrière le miracle, il y a le prêtre. — Théologien, tu t’enfonces dans l’hérésie et tu détruis toutes mes illusions. — Toi, tu veux faire un roman, et le monde, c’est de l’histoire. » Sur quoi, le rêveur demande au prêtre quelles sont les coulisses de Lacedonia, mais le prêtre n’est pas de ceux qui causent. Après s’être fait longtemps tirer l’oreille, il consent toutefois à entr’ouvrir sa main pleine de secrets bien cachés :

« — Regardons, dit-il, les petits centres électoraux. Crois-tu qu’il y ait là toutes les idées et tous les sentimens du roman qui te bruit dans la tête? Prends les pays juchés sur la montagne où l’on va quelquefois à dos de mulet, sans circulation de marchandises ou d’idées; c’est un miracle s’il y arrive de loin en loin un journal ou un colporteur qui renouvelle un peu l’air. Des groupes de petits endroits autour d’un endroit un peu plus grand, où c’est à peine s’il s’élève au-dessus des bas-fonds une couche de demi-culture et de demi-fortune. Va de l’avant dans des centres plus populeux, mieux caressés par la nature et l’art et tu trouveras de nouveaux gradins de cette échelle sociale au sommet de laquelle perche ton roman. Commences-tu à comprendre? — Je ne comprends rien du tout. Est-ce que tu veux me décrire ton collège? — Il s’agit bien de cela. Je fais de l’histoire générale. Mettons que nous soyons en