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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/649

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à la chaire de littérature italienne, dans l’université de Naples. Tâchons de faire ce long voyage et de montrer comment le petit Hirpin est devenu un esprit si largement ouvert.

Nous trouvons d’abord à Morra, vers 1828, en plein bourbonisme, un écolier qui étudiait beaucoup (plutôt le latin que l’italien), et « les mains lui brûlaient des coups de férule. » Il en avait une telle peur, qu’ayant lâché un jour le mot d’amabint, et, voyant le maître lever la main, il se jeta vers la porte et glissa sur un clou qui lui entra dans la cuisse : « J’en porte encore la marque, » écrivait-il cinquante ans après. Il y avait au village un grand mur d’église, orbe ou à peu près, car il n’était percé que d’un trou auquel on ne pouvait arriver que par une haute échelle. L’enfant y monta un jour et vit par l’ouverture quantité de prêtres assis en rond comme à une table d’hôte, ou plutôt comme dans le chœur quand ils disaient l’office; il eut peur et descendit précipitamment, comme s’ils le poursuivaient « pour l’enfermer là-dedans. » — « Je ne sais, raconte-t-il, comment je ne me rompis pas le cou! J’étais enfant; ce spectacle et cette frayeur ne me sont jamais sortis de la mémoire. On me dit que c’était le cimetière des prêtres, j’en conclus que dans l’autre monde les prêtres se tenaient assis et il me sembla que cela valait beaucoup mieux que d’être couché sur le dos dans une caisse clouée. Ceci me donna une haute idée du prêtre, et, en me voyant si pacifique et si studieux, d’aucuns me disaient : « Ne veux-tu pas te faire prêtre? » Qui sait si je n’aurais pas fini par là si ma grand’mère ne m’avait pas mené à Naples, où, en lisant du Démosthène et du Cicéron, je déclarai que je voulais être avocat. Et je tins bon dans cette idée, je fis mes études, et j’étais arrivé à ma première année de stage, quand l’oncle Charles, mon maître, qui dirigeait une belle école, fut frappé d’apoplexie et force me fut de le suppléer; c’est ainsi que le hasard me fit pédagogue. Et le hasard fut plus intelligent que moi, parce qu’il devina ma vocation. C’est, du moins, ce que soutient ma femme, qui ne me reconnaît aucune qualité d’avocat, c’est-à-dire de brouillon (à son avis); et elle dit qu’en faisant ce que je fais, on gagne moins d’argent, mais plus de renommée. Moi, je m’incline. »

Avant d’enseigner cependant il avait étudié : « Je comptais seize ou dix-sept ans (écrit-il dans son essai sur le Dernier des puristes) et j’avais lu beaucoup de livres sur quantité de sujets; j’écrivais en vers, en prose, j’improvisais par-dessus le marché; tout le monde me comblait d’éloges : mon maître m’appelait Plume d’or, et moi-même, avec le plus grand orgueil qui fut jamais, je me tenais sérieusement pour l’homme le plus instruit de Naples. J’avais en partie copié, en partie résumé Hobbes, Leibniz (mon favori) ; Spinoza, Descartes, Malebranche, Genovesi, Beccaria, Filangieri et