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total. L’ami de Galilée, très familier avec les dés, s’étonnait de gagner par le point 11 plus souvent que par le point 12 et de voir sortir 10 plus souvent que 9. Ces quatre points arrivent cependant chacun de six manières et pas davantage. Pourquoi 12 est-il plus rare que 11 ? Faut-il nier l’expérience ou douter du calcul ? Il faut les accorder en faisant mieux le compte. Les cas que l’on dénombre ne sont pas pareils ; 4, 4, 4, par exemple, qui donne 12, n’est pas comparable à 4, 5, 2, qui donne 11 ; la première de ces combinaisons est unique, chacun des trois dés doit amener 4 ; 4, 5, 2, au contraire, représentent six combinaisons, par la même raison qu’avec trois lettres distinctes, on peut écrire six mots différens. Attentif à tout circonstancier, Galilée, au lieu de six chances, en montre distinctement vingt-sept pour le point 4, vingt-cinq seulement pour le point 12. Le calcul, le compte, pour parler mieux, s’accorde, comme toujours, avec l’expérience des joueurs. Galilée n’en faisait aucun doute. Quoique ce grand géomètre Jacques Bernoulli, pour avoir établi la loi sur des preuves, ait pris un rang élevé entre les plus illustres, la conviction universelle des joueurs a précédé ses profonds travaux. Quand un de lui montrait trop souvent la même face, Panurge, qui s’y connaissait, pour y voir biffe et piperie, n’invoquait rien que l’évidence. Ainsi faisait l’ami de Galilée : en comptant mille quatre-vingts fois le point 11 contre mille fois le point 12, il devinait une cause et voulait la connaître.

Un jour, à Naples, un homme de la Basilicate, en présence de l’abbé Galiani, agita trois dés dans un cornet et paria d’amener rafle de 6 ; il l’amena sur-le-champ. Cette chance est possible, dit-on ; l’homme réussit une seconde fois, et l’on répéta la même chose ; il remit les dés dans le cornet trois, quatre, cinq fois, et toujours rafle de 6. « Sangue di Bacco ! s’écria l’abbé, les dés sont pipés ! « et ils l’étaient. Pourquoi l’abbé jurait-il ? Toute combinaison n’est-elle pas possible ? Elles le sont toutes, mais inégalement. Galilée nous en avertit. Commençons, pour aller pas à pas, par jeter deux dés ensemble ou deux fois un seul dé, — les deux cas n’en font qu’un. Si deux joueurs parient, l’un pour deux 6, l’autre pour 6 et 5, les chances, pour eux, sont inégales. Sonnez représente l’une des trente-six combinaisons possibles ; le 6 et 5 en réunit deux. Si l’un arrive deux fois plus que l’autre, faudra-t-il accuser le hasard de partialité ? attribuer au point 6 une antipathie occulte pour son semblable ? Cette imagination n’est pas à craindre.

Si, prenant soixante dés, on compare la réunion des soixante 6, équivalente à trente sonnez de suite, avec la combinaison qui contient chacun des six points précisément dix fois, les nombres par