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Pierre? La science, consultée par Daniel Bernoulli, donne pour réponse : Une somme infinie. Le parti de Pierre, c’est le mot consacré, est au-dessus de toute mesure.

Les géomètres ont interprété de plusieurs façons et désavoué, comme excessive, la réponse irréprochable de la théorie du jeu. D’Alembert écrivait en 1768 : « Je connais jusqu’à présent cinq ou six solutions au moins de ce problème dont aucune ne s’accorde avec les autres et dont aucune ne me paraît satisfaisante. » Il en ajoute une sixième ou septième, la moins acceptable de toutes. L’esprit de D’Alembert, habituellement juste et fin, déraisonnait complètement sur le calcul des probabilités.

Buffon, pour expliquer le paradoxe de Saint-Pétersbourg, allègue que posséder ne sert de rien si l’on ne peut jouir, a Un mathématicien, dans ses calculs, — ce sont les propres paroles de Buffon, — n’estime l’argent que par sa quantité, c’est-à-dire par la valeur numérique ; mais l’homme moral doit l’estimer par les avantages et les plaisirs qu’il peut procurer. » On promet à Pierre de doubler son gain à chaque coup qui retarde l’arrivée de face, on ne peut doubler que ses écus. Pierre ne demande rien de plus, Buffon peut en être certain. « L’accroist de chevance, avait dit avant lui Montaigne, n’est pas l’accroist d’appétit au boire, manger et dormir;.. » chacun peut allonger la liste. Daniel Bernoulli, réduisant cette distinction en formule, oppose à la richesse mathématique une richesse morale que l’or accroît, mais si lentement, que toutes les unités, jusqu’à la dernière, procurent un égal contentement.

Cette théorie condamne tous les jeux de hasard. Le conseil de ne jouer jamais, si excellent qu’il soit, ne peut être proposé pour une théorie du jeu. Supposons en présence deux disciples de Bernoulli. « Si je gagne, dirait Pierre, qui est pauvre, en proposant à Paul une partie d’écarté, votre enjeu de 3 francs paiera mon dîner. — Repas pour repas, répondrait Paul, vous me devrez 20 francs en cas de perte, car tel sera le prix de mon souper. — Si je perdais 20 francs, s’écrierait Pierre, effrayé, je ne dînerais pas demain; vous pouvez, sans en venir là, perdre 10,000 francs, déposez-les contre mes 20 francs; l’avantage, Daniel Bernoulli l’affirme, restera de votre côté. » — Ils ne s’entendront pas.

Ceux qui suivent Condorcet et Poisson, sans contester la bonne foi de Paul, tiennent ses engagemens pour nuls. Si le hasard amenait pile soixante-quatre fois, Paul devrait payer autant d’écus que le sultan des Indes ne put donner de grains de blé à l’inventeur du jeu d’échecs. Une telle promesse est téméraire; si riche qu’on le suppose, Paul, ruiné dès le trentième coup, ne pourra plus payer double. Ne comptant plus sur ses promesses,