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Cette admirable et très simple formule s’étend à toutes les grandeurs, s’applique à tous les instrumens, régit toutes les observations et embrasse tous les procédés de mesure; les différences, d’un cas à l’autre, si grandes qu’elles puissent être, se résument dans un nombre caractéristique représentant la précision, l’erreur probable, le poids de l’observation ; peu importe le nom, un seul nombre connu permet de calculer toutes les chances et de prédire, sur un grand nombre d’épreuves, la distribution certaine des écarts.

Si l’on caractérise une série de mesures par l’erreur probable qu’il y a chance d’atteindre ou de ne pas atteindre, en prenant cette erreur pour unité, la probabilité d’une erreur double diffère peu de 1/10, celle d’une erreur quintuple s’abaisse à 1/1000 ; pour une erreur dix fois plus grande que l’erreur probable, le nombre donné par la formule vaut une déclaration d’impossibilité.

L’instrument, il ne faut pas l’oublier, est aussi bien que l’observateur supposé sans défaut; on n’accepte en lui que des défaillances, des accidens fortuits qu’aucune cause constante n’incline dans aucun sens.

Les épreuves du tir, soit au canon, soit à la carabine, mettent en évidence les effets du hasard; les erreurs fortuites ont pour origine, outre le coup d’œil plus ou moins juste et les distractions du pointeur, le poids variable du projectile, les inégalités de sa structure, le tassement irrégulier de la poudre, les courans, les vibrations, l’humidité des couches d’air traversées; c’est pour cela que, sans changer en rien les conditions du tir, on voit les coups s’écarter les uns des autres, en se groupant autour d’un point central, autour du but lui-même, si les erreurs constantes sont écartées.

Un savant professeur, M. Jauffret, a défini, par une image fort nette, les lois de distribution des coups, identiques, d’après le théorème de Bernoulli, à celles des probabilités. Si, visant pendant un long temps un même but placé sur le sol, on arrête chaque boulet au point même de sa chute, l’amas des projectiles présentera l’aspect d’une cloche dont la base circulaire aurait le but pour centre; un tireur plus adroit rétrécirait la cloche et la rendrait plus haute; une moindre précision donnerait naissance à un solide moins élevé, s’abaissant plus lentement vers le sol.

N’est-il pas merveilleux ou incroyable qu’on puisse, par le raisonnement seul, prédire ainsi la disposition des boulets sans connaître l’adresse du pointeur ni demander la précision de l’arme ?

Les formules, a dit Poinsot, ne donnent que ce qu’on y a mis. Aucun raisonnement ne fait davantage; le dernier anneau d’une chaîne de déductions est, pour qui sait l’y voir, tout entier dans les