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I.

Mais, avant de la suivre dans ses modes divers, avant d’aborder les maîtres de la symphonie, rendons justice à ceux qui nous les ont fait connaître si largement.

La palme revient à M. Pasdeloup, qui a le mérite de la priorité. C’est à son initiative, à son intelligence, à son courage que nous devons la nouvelle institution. Mes souvenirs ne remontent pas jusqu’à la fondation des Concerts populaires, mais nombre de personnes qui leur sont demeurés fidèles pendant vingt-cinq ans se la rappellent comme un événement. De bons musiciens avaient tenté inutilement la même œuvre. Le public n’était-il pas encore préparé, ou l’habileté pratique faisait-elle défaut à ces novateurs? Le fait est que M. Pasdeloup a réussi le premier. Selon nous, il doit son succès à trois qualités qui se trouvent rarement réunies : enthousiasme, souplesse et fermeté. La tâche n’était pas facile. Ce ne fut que peu à peu qu’il parvint à gagner, à dompter et finalement à éduquer ces foules houleuses. Dans les commencemens, il avait à lutter avec l’esprit gouailleur du Parisien et avec l’ignorance de son public. Mais le mérite de ce public était dans cette ignorance même. Elle donnait à ses impressions une vivacité extrême, une sincérité amusante, le charme de l’imprévu. Ce fut Haydn d’abord qui eut le don de lui plaire; cette limpidité, cette gaîté d’enfant amadoua son oreille. Ses faveurs passèrent ensuite à l’élégant, au séduisant Mozart et enfin au grand Beethoven. Mais, pour amener son public turbulent au temple de la symphonie, M. Pasdeloup dut avoir recours à plus d’un subterfuge, à plus d’une ruse savante. Il fallait saupoudrer les programmes de morceaux friands, « mêler le grave au doux, le plaisant au sévère, » racheter le grand sérieux de la Symphonie héroïque par un menuet de Boccherini ou par les jongleries éblouissantes d’un violoniste virtuose. Ce fut bien autre chose quand l’infatigable chef d’orchestre essaya de jouer du Berlioz et du Wagner. Ces harmonies nouvelles sonnaient étrangement, et de formidables préjugés indisposaient le public contre ces nouveautés. Ce furent des cris, des huées, des orages de sifflets. Deux partis s’étaient formés dans la salle ; la gaminerie et la gageure s’en mêlaient. Quelquefois l’épouvantable charivari commençait sur le pianissimo du prélude de Lohengrin et couvrait complètement l’orchestre. M. Pasdeloup ne se décourageait pas; il continuait bravement. Un jour, les pauvres musiciens perdirent la mesure