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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/800

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lui-même. Ils trouvent à M. Lamoureux plus de jeunesse, plus de flamme, avec presque autant de fini dans l’exécution.

Bref, voici trois grands concerts populaires, rivalisant avec honneur dans Paris. Chacun d’eux a sa raison d’être, sa destination spéciale, son public. Le besoin grandissant d’harmonie qui est comme le contrepoids de notre fièvre moderne suffit pour remplir les trois salles. Il y en a même une quatrième et ce ne sera pas la dernière.

Cette large place prise par la musique instrumentale dans notre vie nous invite à fixer un instant nos regards sur trois grands maîtres de la symphonie : Beethoven, Berlioz et Richard Wagner. Ces trois puissantes individualités s’imposent à nous les premières, car ce sont celles qui ont le plus charmé, passionné et divisé le public. Simples auditeurs des concerts, nous chercherons à deviner la nature diverse de leur génie à travers les fragmens entendus. Plus qu’aucun autre artiste, le musicien met le fond de son être dans son œuvre. Et peut-être nous sera-t-il plus facile de les évoquer et de les pénétrer en les laissant agir sur le sens visionnaire qui s’éveille en chacun de nous aux sous de la musique et qui tente involontairement de traduire le rêve de l’âme.


II.

En 1810, Beethoven, à l’apogée de sa gloire, mais sourd, triste et accablé de son isolement, était assis devant son clavier, lorsqu’il sentit deux mains légères se poser sur ses épaules. Il se retourna, l’œil flamboyant de colère. Mais il aperçut une charmante jeune fille dont les yeux, pleins d’admiration et de coquetterie, lui souriaient. Le visage du maître se radoucit. « Je m’appelle Bettina Brentano, » dit-elle. Et lui pour toute réponse : « Voilà ce que je viens de composer, dit-il, voulez-vous que je vous le chante ? » Et il se mit à entonner une mélodie sur les vers de Goethe : « Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent ? » Lorsqu’il eut fini, il la regarda de nouveau. La jeune fille avait les joues empourprées ; ses yeux brillaient d’enthousiasme. « Ahl dit Beethoven, vous êtes de la race des artistes, mon enfant. L’artiste véritable ne pleure pas, mais il est brûlant d’enthousiasme ! » La connaissance était faite.

Quelques jours après, Bettina écrivait à son ami Goethe : « Lorsque je vis pour la première fois celui dont je veux t’entretenir, l’univers entier disparut à mes yeux. C’est de Beethoven que je vais te parler, c’est lui qui m’a fait oublier le monde et toi-même, ô