Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la fois; tout devient feu, sentiment, passion. Et, cependant, la pensée qui traverse cette œuvre nous permet d’y voir l’expression d’une religion et d’une philosophie. Beethoven a fait ici, en poète symphoniste, ce que Kant avait fait en métaphysicien lorsque, après avoir perdu son dieu dans le labyrinthe des antinomies, il le retrouve dans les profondeurs de sa conscience. Le grand voyage de Beethoven sur l’océan de l’harmonie aboutit à l’affirmation d’une fraternité humaine sous le souffle de l’Esprit infini, source de toute vie, de tout amour et de toute clarté. Cette religion ne ressemble ni au paganisme grec, ni au christianisme présent, encore assombri par les terreurs du moyen âge. Il y a là comme un mélange de la liberté antique avec la fleur de la charité et de la foi chrétiennes. La plus noble pensée religieuse s’y manifeste par un enthousiasme vraiment dionysiaque. Aussi ces chœurs ont-ils souvent secoué de leur torpeur les pessimistes les plus endurcis et fait entrevoir aux croyans de l’âme les splendeurs infinies des mondes supérieurs, l’aurore d’une nouvelle humanité. Selon nous, cette grande et hardie affirmation assure à Beethoven une place unique parmi les artistes modernes.


III.

Passons à l’autre grand symphoniste que les concerts du dimanche ont popularisé.

De tous les hommes de sa génération, y compris les littérateurs et les poètes, Berlioz nous semble le type le plus complet du romantique de 1830 </ref> On trouvera dans un livre récent : Berlioz intime, par M. Edmond Hippeau (Paris, Fischbacher), une étude très complète et très fouillée sur le caractère et la vie du maître dauphinois. L’auteur y relève certaines inexactitudes des Mémoires par la Correspondance et plusieurs documens nouveaux. Nous recommandons en particulier le chapitre intitulé : le Roman. L’histoire de la passion de Berlioz pour miss Smithson y est étudiée minutieusement, dans la vérité des faits. Elle s’émaille et s’entrecroise curieusement d’une autre aventure avec une pianiste célèbre, que l’auteur des Mémoires appelle Ariel, et qui devint après cette distraction (le mot est de Berlioz qui l’applique à lui-même) un personnage fort connu et très bien posé dans le monde parisien. </ref>. Le romantisme, ce phénomène multiforme et multicolore qui n’a pas encore été défini et que nous appellerons faute de mieux, la prédominance de la fantaisie et de l’imagination sans frein dans l’art, le romantisme a eu ses précurseurs, ses théoriciens et ses prophètes, ses improvisateurs et ses mystiques, ses grotesques et ses triomphateurs. Ce qui rend Berlioz particulièrement