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progrès et la richesse : doué d’un esprit vif et calculateur, il avait observé les établissemens financiers déjà institués en Hollande et en Angleterre et il en avait compris l’utilité. La banque qu’il créa en 1817 était bien conçue : si elle avait conservé sa forme première et si elle avait été sagement conduite, elle pouvait être un bienfait pour l’état, pour le commerce, pour l’industrie; mais elle n’avait pas été inventée par Law ; elle n’était que l’imitation des banques de Londres et d’Amsterdam. La compagnie des Indes, au contraire, était son œuvre personnelle : par son extension désordonnée, par la spéculation insensée qu’elle provoqua et qu’elle devait provoquer, elle bouleversa les fortunes privées, compromit l’état, altéra la moralité publique. Par une singulière ironie des événemens, la banque fut supprimée, et la compagnie, ramenée aux proportions d’une société de commerce privilégiée, put continuer ses opérations, sans grands succès, mais sans grands revers. Ce n’est point à Law que nous devons la grande institution que nous possédons aujourd’hui, et qui plus d’une fois, dans les circonstances les plus graves, par la sagesse de sa conduite et la puissance de son crédit, a soutenu la fortune publique : c’est plutôt le souvenir du système et de sa chute qui a retardé de trois quarts de siècle la fondation de la Banque de France[1]. Law était entreprenant, audacieux et joueur, mais il était honnête. Après avoir manié des milliards, il est mort pauvre à Venise, en 1729; sa pauvreté assure à sa mémoire de l’indulgence pour ses erreurs, et des égards pour sa personne.


III.

Law, en quittant la direction de la banque et celle de la compagnie, laissait au nouveau contrôleur-général la lourde tâche d’une liquidation immense et compliquée. Il ne s’agissait pas seulement de faire la recherche et le compte des actions et des billets qui se trouvaient entre les mains du public. Une opération difficile, le remboursement de la dette publique, avait été commencée, et elle était loin d’être accomplie. Parmi les rentiers de l’état, quelques-uns,

  1. Forbonnais, qui écrivait trente ans après la chute de la banque, affirme que de son temps le souvenir du système jetait encore une grande défaveur sur les théories et sur les réformes : « Mais le plus grand des maux est peut-être l’odieux qui a été jeté sur le mot de système, le seul cependant par lequel il soit possible d’exprimer un projet conséquent à des principes donnés. Le vulgaire, c’est-à-dire le plus grand nombre, est parvenu à craindre tout ce qui présente une suite d’idées liées ensemble. Tout homme qui a le malheur de proposer un plan, soit pour opérer des réformes, Boit pour trouver des expédiens, se voit mépriser comme esprit systématique et rarement il sera employé. » (T. II, p. 642.)