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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/884

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d’ici, dans la vallée au-dessous. La troupe approche déjà. Vers minuit nous descendrons à sa rencontre. Tout se passera selon l’usage établi pour la délivrance d’un prisonnier. Le capitaine de la troupe s’avancera vers nous accompagné de l’homme qui lui est confié, peut-être d’un sowar. Nous nous tiendrons côte à côte tous les trois, attendant. Or, leur dessein est d’assassiner, s’ils le peuvent, Shere~Ali et Isaacs. Ils n’ont pas compté sur nous, mais supposent sans doute que notre ami viendra sous une escorte de cavaliers. Les gens du maharajah s’élanceront au signal de leur chef, qui, tout en causant, doit toucher l’épaule d’Isaacs. Maintenant, écoutez bien, monsieur Griggs : votre ami, mon ami, ne veut pas de miracles, de sorte que nous devons demander à la force ce que nous aurions pu obtenir par stratagème. Quand vous verrez le chef poser sa main sur l’épaule d’Isaacs, saisissez-le à la gorge et prenez garde à son autre bras qui sera armé. Empêchez-le de blesser Isaacs, je me charge du reste, qui réclamera probablement toute mon attention.

— Mais, fis-je observer, si le capitaine est plus fort que moi?..

— Personne n’est plus fort que vous, répondit Isaacs en souriant.

— Ne vous tourmentez pas, reprit Ram Lal ; rendez-vous maître de l’homme, voilà tout. Je réponds que cela ne vous sera pas difficile; d’ailleurs je pourrais vous aider au besoin.

All right! Donnez-moi quelques cigarettes.

Avant d’avoir achevé la première, je dormais profondément. A mon réveil le soleil s’était éteint, mais une grande lumière le remplaçait. Au-dessus des montagnes à l’orient, la pleine lune baignait d’argent tous les objets. Au loin, les pics de neige saisissaient le reflet et renvoyaient les rayons flottans dans les sombres vallées intermédiaires. Le rocher auquel s’appuyait notre abri semblait lui-même changé en un métal précieux. Le clair de lune eût permis de compter les chevilles et les cordes de la tente, il mettait en relief la forme svelte d’Isaacs occupé à sangler sa ceinture et à y glisser le portefeuille où devait s’inscrire le traité; il donnait à la silhouette incolore de Ram Lal l’aspect d’une statue d’argent et pâlissait la flamme mourante du bivouac. Oui, c’était une lune merveilleuse. Je consultai ma montre : huit heures.

— Vous avez dormi longtemps, dit Isaacs. Allons! ce flacon renferme du whisky. Je ne touche jamais à ces choses-là, mais Ram Lal dit que pour vous c’est un préservatif contre la fièvre.

J’obéis, et nous partîmes laissant la tente comme elle était. Nos