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à la façon aussi facile qu’infaillible dont M. Z... explique l’Apocalypse et le Talmud, aux prodiges de Rome, aux tables enlevées par des agens invisibles ou à la catalepsie des écrevisses. Il nous a montré aussi d’autres rêveurs faciles à reconnaître parmi cette plèbe, ceux qui n’acceptent que les superstitions pourvues d’un caractère scientifique, qui discutent très raisonnablement, très éloquemment de graves chimères, qui se partagent entre la passion du progrès et celle des abstractions.

Comme le dit fort justement Hawthorne, un observateur plus subtil encore que Tourguénef, ces personnages deviennent inférieurs à l’humanité pour avoir voulu des choses extra-humaines. — N’est-ce pas l’opinion de Pascal : «Qui fait l’ange fait la bête? »

Ne nous y trompons point, les réformateurs et les hallucinés sont bien moins rares qu’on ne pense dans notre société moderne; nous les rencontrons dans la rue sans les deviner, nous causons avec eux dans le monde sans nous douter que cet homme aux manières aimables et insinuantes, que cette femme à l’esprit cultivé aient chacun son dada, son idée fixe, son utopie et ne soient tout disposés, pourvu que vous vous y prêtiez, à commencer une œuvre de prosélytisme.

Devant l’assemblée qui l’écoutait, un professeur en théosophie commença l’exposé de la doctrine qui, servant de trait d’union entre la vieille Asie et l’Europe libre penseuse, entre le besoin de croire et celui de savoir, rapprochera le christianisme et le bouddhisme ésotériques. Ceux-ci ne sont qu’un ; malheureusement les diverses églises n’ont donné aux masses que la doctrine esotérique, produisant ainsi des oppositions, des haines et des luttes qui ont retardé le progrès. Par sa tendance générale, la théosophie se trouve en opposition avec les « prétentions du catholicisme, » et pourtant elle est dans un certain sens une réhabilitation du mysticisme chrétien envisagé comme fait scientifique.

Certes, ce rêve de conciliation générale, s’il est impraticable, ne manque pas de grandeur, et nous sommes loin de vouloir nier la bonne foi généreuse des théosophes, surtout après avoir lu Mr Isaacs. L’exemple de Jean Reynaud a prouvé tout ce qu’on pouvait apporter de sincérité, d’élévation, de raison même dans l’illusion. Swedenborg fut un juste ; on ne peut parler qu’avec respect des Boehme et des Saint-Martin. Théosophie n’est donc synonyme, pour nous, ni de charlatanisme ni de démence; nous voudrions seulement que les correspondans à Paris des adeptes du Thibet imitassent la sage discrétion de leurs frères de l’Inde, qu’ils ne fissent pas tant de fracas des « miracles scientifiques, » dont Isaacs et Ram Lal évitent de parler, qu’ils laissassent dans une pénombre favorable aux mystères ces histoires d’ubiquité, de résurrection, d’évanouissement dans les airs, de phénomènes