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des calvinistes zélés, qui, même au XIXe siècle, n’auraient pas désavoué ce propos. M. Ch. Read[1] n’a-t-il pas déclaré que « les circonstances ne faisaient pas à Henri IV un devoir si impérieux de fouler aux pieds tout sentiment de conscience et de gratitude, tout respect divin et humain et d’en agir comme il le fit dès lors et dans la suite envers ceux qu’il avait quittés?» Un autre[2] n’a-t-il pas osé dire: « Personne n’avait prévu quel dangereux ennemi la cause du protestantisme français allait trouver dans le cœur d’un prince tout à l’heure encore son chef, » et lui reprocher de n’avoir « manqué nulle occasion d’amoindrir les appuis naturels de ses sujets réformés?» Voilà comme on a pu juger, même de notre temps, l’homme à qui les calvinistes français durent l’établissement de la liberté de conscience et de leur état civil, celui qui signa l’édit de Nantes et mourut de mort violente pour l’avoir signé.

Les huguenots, à vrai dire, partageaient généralement l’avis de Jacques Ier d’Angleterre, qui, lorsque « certains depputez d’Irlande » lui demandèrent un jour la liberté de conscience, envoya « quatre des principaux en la tour[3] » : ils ne tenaient pas plus à la liberté de conscience que les catholiques, pourvu que leur propre liberté fût assurée. Un des articles fondamentaux que l’assemblée de Châtellerault (juillet 1597) entendit imposer au roi dans les négociations qui précédèrent l’édit de Nantes, c’est que la messe serait « exclue de plusieurs villes, entre autres La Rochelle. » C’était, semblait-il, une revanche légitime, puisque le prêche était interdit dans certains lieux, d’après les conventions faites avec plusieurs seigneurs et plusieurs villes du parti ligueur. Mais Henri IV, à qui la ligue avait arraché ces conventions, empêcha du moins les représailles, qu’il pouvait empêcher. Il aurait voulu ranger tous ses sujets sous une loi commune; mais un tel joug paraissait insupportable aux uns comme aux autres. Pour ne parler que des calvinistes, ils ne voyaient point de salut hors de privilèges et de garanties extraordinaires qui leur permissent, le cas échéant, de tenir en échec tout le reste du royaume, à commencer par le roi. Rien n’était plus contraire à la conception de la politique royale, et cependant Henri IV, loin de se laisser pousser à bout par des prétentions déraisonnables et par des sommations hautaines, chercha patiemment à concilier toutes ces revendications avec les droits de sa couronne, il ne marchanda pas un instant aux réformés la plénitude de la Liberté civile, l’entière liberté de conscience et toute la liberté du culte public que la France catholique pouvait alors endurer ; mais

  1. Mémoire lu, le 25 mars 1854, à l’Académie des sciences morales et politiques.
  2. Sayous, Histoire de la littérature française à l’étranger, t. I, p. 26.
  3. Lettre de notre ambassadeur d’Angleterre au roi (20 août 1603.)