Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/902

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il lutta pour ne pas démembrer la puissance publique au profit d’un dixième de ses sujets : « Entre plusieurs souhaits que j’ay faits, disait-il à Sully au fort de la lutte, en 1596, dans un jour de belle humeur, alors que ses lieutenans venaient de remporter des succès décisifs en Provence, vous devez sçavoir qu’il y en a eu dix principaux, pour le succez desquels j’ay le plus souvent et le plus instamment fait humbles prières à Dieu. Le premier, afin qu’il luy pleust de m’assister toujours en cette vie et m’user de miséricorde à la fin d’icelle... Le quatriesme, qu’il me delivrast de ma femme (l’infidèle Marguerite)... Le huictiesme, de pouvoir anéantir non la religion reformée, car j’ay esté trop bien servy et assisté en mes tribulations de plusieurs qui en font profession, mais la faction huguenotte, que messieurs de Boüillon et de la Trémoüille essayent de rallumer et de rendre plus mutine et tumultueuse que jamais; sans rien entreprendre neantmoins par la rigueur et violence des armes ny des persécutions, quoy que peut-estre cela ne me seroit pas impossible, mais bien d’y parvenir sans ruyner plusieurs provinces, perdre la bienveillance de plusieurs miens serviteurs, affoiblir grandement le royaume en le diminuant tellement de moyens et de soldats que je n’oserois jamais plus rien entreprendre de glorieux ny d’honorable hors de France[1]. » Henri IV est là tout entier. C’est lui, qui, dans cette occurrence, défend assurément, avec les attributs de sa propre souveraineté, l’unité française et l’intérêt français. Cependant, quelque idée qu’il ait du droit monarchique et quoiqu’il se sente assez fort pour réduire au besoin la faction huguenote par la violence, il va composer avec elle, à son grand déplaisir, et lui laisser une organisation politique, par amour réfléchi de la paix publique et parce que, de deux maux, celui-ci lui paraît le moindre. Ce qui importe avant tout, c’est qu’une ligue protestante ne succède pas à l’autre et que la France ne soit pas, une seconde fois, coupée en deux. Enfin, ce qu’il aura donné malgré lui, il ne le reprendra pas. Ainsi va se comporter, avant comme après l’édit de Nantes, ce « dangereux ennemi » du protestantisme français.

Dès le 4 juillet 1591, il avait remis « provisoirement » en vigueur le traité de 1577 (édit de Poitiers) et les conventions de Nérac et de Fleix, qui permettaient non-seulement le libre accomplissement des rites de la religion nouvelle dans l’intérieur des maisons, mais l’exercice public du culte et la construction des temples dans les villes ou bourgs occupés par ceux de la réforme à la date du 15 septembre 1577 et dans les « principaux domiciles » des seigneurs protestans hauts justiciers, assignaient aux huguenots des cimetières particuliers, les déclaraient aptes à tous les offices, leur accordaient des

  1. Œconom. roy., ch. LXXII.