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sans l’agrément « des églises. » Ce fut un grand sacrifice, mais, au demeurant, un sacrifice politique. Henri IV le fit, ainsi qu’il l’écrivit lui-même à l’évêque de Rennes, « pour contenter et rasseurer le général de ceulx de la dicte religion, et, en ce faisant, renverser plus aisément les desseings des ambitieux et factieux, » et l’événement prouva qu’il avait vu clair. On avait tout gagné, pour la royauté comme pour le royaume, en démontrant aux huguenots que la croisade était bien finie, que ce pays était redevenu le leur et qu’ils pouvaient le servir sans nuire à la cause sainte[1]. Effacer la Saint-Barthélémy, c’était encore un moyen d’étendre la frontière française.

Le chef-d’œuvre de la politique royale fut moins d’avoir signé ce pacte (les Valois en avaient signé tant d’autres !) que de l’imposer à tout le monde et de l’exécuter avec une inflexible loyauté. Comment des historiens protestans ont-ils pu l’oublier? Il fallut d’abord vaincre non-seulement la mauvaise humeur du clergé catholique et de l’université, mais la résistance opiniâtre des cours souveraines. Celles-ci ne voulaient pas enregistrer l’édit, et l’on dissertait indéfiniment, au parlement de Paris, sans parvenir à s’entendre, sur les constitutions de Valentinien et de Théodose, qui privaient les manichéens de leurs droits politiques, ou sur un texte d’Olympiodore, d’après lequel les Goths, « quoique infectés de l’arianisme, » pouvaient être admis aux charges publiques. Le parlement de Bordeaux faisait haranguer le roi pendant cinq quarts d’heure par un de ses présidons et lui rappelait, pour le fléchir, son inébranlable attachement à la cause royale. Le parlement de Toulouse, qui ne pouvait pas se targuer du même avantage, chargeait néanmoins quelques-uns de ses membres de porter le même jour, au château de Saint-Germain-en-Laye, ses remontrances et ses projets d’opposition. Henri IV ne ferma la bouche à personne et répondit à tout le monde avec ce mélange de bonhomie, de grâce et de fierté royale qui caractérise son éloquence. Quels discours! et quel autre Français a su parler ainsi des intérêts français? Avec quelle véhémence il rappelle aux conseillers de Paris ses propres services ! « Si l’obeissance estoit

  1. MM. Haag, dans leur Notice historique sur le protestantisme en France (édition de 1846, p. 59), reprochent au roi d’avoir, par l’édit de Nantes, assujetti les protestans à des servitudes odieuses. » « On ne saurait s’étonner, ajoutent-ils, s’ils se montrèrent peu satisfaits de cet édit. C’est à peine si le quinzième synode national, qui s’assembla à Montpellier le 26 mai 1598, daigna y faire allusion. » Il ne faut, pour répondre à ces violences, que rappeler la lettre adressée à l’assemblée de Châtellerault par Théodore de Bèze au sujet de l’édit. L’illustre successeur de Calvin y remercie bien haut « le grand et vrai Dieu » d’avoir « incliné le cœur de celui qu’il a donné pour roi à la France à un tel conseil et moyen si convenable pour changer l’horreur des guerres civiles en une vraie tranquillité, conjointe avec le moyen d’honorer celui qui en est proprement l’autour et le donneur. »