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généralement trop peu, quoi qu’il fît en leur faveur, trop aux yeux des autres, et presque tous ses actes le rendaient suspect à l’un des deux partis, quand ils ne les mécontentaient pas à la fois. C’est ainsi qu’on l’accusa tout d’abord d’aller « le jour à la messe et la nuit au presche. » On disait encore en plein parlement, quelques mois après son retour, « qu’il avoit plus de religion que tous ses prédécesseurs, pour ce qu’il estoit catholique et huguenot tout ensemble. « Il le savait. Après l’attentat de Chastel, comme il se rendait à Notre-Dame, aux cris de : Vive le roi! « Sire, lui dit un seigneur, voiés comme tout vostre peuple se rejouist de vous voir. » Il répondit en secouant la tête, s’il faut en croire L’Estoile : « C’est un peuple : si mon plus grand ennemi estoit là où je suis et qu’il le vid passer, il luy en feroit autant qu’à moy, et crieroit encore plus hault qu’il ne fait. » C’était, on en conviendra, pour un roi du XVIe siècle, connaître assez bien le cœur des Français. Mais il entendait épouser les intérêts, non les passions de ce peuple : quelques reproches qu’il essuyât et quelques impatiences qu’il eût à contenir, il se servit des catholiques pour l’accomplissement de ses propres desseins, non des leurs. Il les fit entrer si bien dans sa politique qu’ils n’en purent plus sortir, même après sa mort. Ce fut sa seconde victoire sur la ligue, la plus décisive et la plus féconde. Rappelons comment il la remporta.

La rancune est, de tous les sentimens, le plus naturel et le moins politique : il faut renoncer à conduire les hommes si l’on ne se sent pas capable d’oublier, au moment opportun, leurs folies et leurs fautes. Pour comprendre à quel point Henri IV excella dans l’art d’oublier, il faut le suivre jour par jour, après sa rentrée dans cette capitale où toutes les passions avaient été déchaînées contre lui, mais qu’il voulait par-dessus tout détacher des factions et rattacher à sa cause. Paris s’intéresserait encore aux ligueurs, persécutés : le plus sûr moyen d’y déraciner la ligue est de l’accabler sous la miséricorde royale. C’est le système que le Béarnais commence à pratiquer avec sa dextérité habituelle, le jour même de la capitulation, faisant publier une déclaration par laquelle il pardonne à tout le monde, « mesme aux Seize. » C’est à peine si l’on se décidera, quelques jours plus tard (30 mars 1594}, à éloigner « pour un temps » une centaine d’exaltés, mêlés, pour la plupart, aux premiers complots qui se trament contre la vie du roi. Celui-ci favorise la fuite du cordelier Guarinus, qui avait poussé au régicide, et de bien d’autres, en recommandant qu’aucun ne soit maltraité. Il prend « en sa protection et sauvegarde » la trop fameuse Madame de Montpensier, à qui Henri III avait promis de la faire « brusler toute vive, » s’il rentrait à Paris. Lincestre, un des plus furibonds prédicateurs de la ligue, devient un des prédicateurs du roi, « à