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admirable ; il porte à l’Hospitalité de nuit le gain de sa journée dominicale : qui travaille au profit du pauvre a travaillé pour Dieu et n’a point péché. Chez les ouvriers, chez les pauvres gens auxquels la vie est la permanence du labeur et de la lutte, le bonheur est une excitation à la bienfaisance. A une noce que l’on célébrait dans un restaurant champêtre, le marié se lève au dessert et quête ; il recueille 4 fr. 80 qui, le lendemain, sont versés à la caisse de l’Hospitalité. Se souvient-on qu’à l’Exposition universelle de 1878 la Société de l’assistance aux mutilés pauvres[1] avait un pavillon particulier où s’ouvrait un tronc destiné à recevoir les offrandes ? Plus de 9,000 francs y tombèrent, dont le tiers au moins, en gros sous, était le produit des visites du dimanche, c’est-à-dire sortait de la poche des ouvriers.

Les malheureux qui, dans des jours de détresse, ont été dormir sur le lit des maisons hospitalières en ont parfois gardé le souvenir. Sauvés par quelques heures de repos, secourus, placés par les directeurs, ils n’ont point répudié la gratitude et reviennent visiter l’asile où ils sont tombés de fatigue et de désespérance. A leur tour et selon leurs ressources, ils veulent concourir à l’œuvre, car, mieux que d’autres, ils l’ont appréciée ; ils apportent quelque argent, ou un pain et de la viande pour ceux qui ont faim. Si jamais ceux-là font fortune, l’Hospitalité de nuit s’en apercevra. De quoi vit-elle, cette hospitalité ? Comment pourvoit-elle aux nécessités permanentes qui l’assaillent, et qui, en 1883, ont exigé une dépense de plus de 132,000 francs ? Comme tant d’œuvres dont j’ai déjà parlé, par la charité. Il faut lire la liste des donateurs, elle est instructive : toutes les classes du monde parisien y sont représentées, tous les chiffres s’y côtoient : ici, 2,500 francs ; là, 1 franc, « par un ex-pensionnaire ; » plus loin, 0 fr. 50, « en souvenir d’un ancien bienfaiteur. » Quelquefois les dons revêtent un caractère de munificence qui rappelle les largesses royales. Le 22 février de cette année, M. Charles Garnier reçut le billet que voici : « Mon vieil ami, peux-tu venir aujourd’hui ? je voudrais causer un peu de l’Hospitalité de nuit, ayant l’intention de lui être agréable. MEISSONIER. » Pour célébrer son jubilé, c’est-à-dire sa cinquantième année de peinture et de gloire, M. Meissonier va exposer tous ceux de ses tableaux qu’il aura pu réunir. Ce sera une fête pour l’intelligence, pour l’art, pour le goût. La foule se portera à cette exhibition des chefs-d’œuvre d’un maître qui se verra entrer vivant dans la postérité. M. Meissonier réserve pour les pauvres de la commune de Poissy, où il a sa maison de campagne, le cinquième du produit

  1. Fondée en 1868 par le comte de Jay de Beaufort.